À donner, ce personnage sympathique à lunettes
D’accord, il n’est pas encore domestiqué, il ne vous accompagnera pas au village à votre première sortie, vous rendant chez le boucher, mais voyez, il ne craint guère la bête humaine. Il s’y fera avec vous, et vous lui apprendrez l’animal que nous sommes.
Vous pourriez lui montrer certaines pirouettes et l’engager par la suite dans votre cirque pour enfants. Partout, il serait aimé. Le soir, revenus à la maison, les enfants en voudraient un, rembourré bien sûr, sur l’oreiller. Peinard, vous arriveriez à vendre même son image.
Mais méfiez-vous un brin, regardez-lui la binette, on dirait bien qu’il est prêt à toutes les excuses à l’heure où l’excuse est dans toutes les bouches, à la mode, mais c’est un bien habile. Chez vous, pour vous, il en viendra à allumer votre poste de télé, par exemple, pour vous suggérer la meilleure chaîne d’info en continu. Parmi les trois marques de bière que vous gardez au frigo, il saura choisir la meilleure et vous l’apporter.
Vous saurez le lui rendre, j’en suis certain. Mais il prend beaucoup de place. Si nous décidons de ne pas vivre ensemble, lui et moi, c’est que tous deux nous prenons beaucoup de place. Les blondes qui m’ont balancé sauraient vous le dire, raton moi-même.
Si, par ailleurs, vous peinez en ce moment sur des travaux précieux et pressants, la mine de sel quoi, confiez-le à votre voisin en lui disant de cultiver du maïs. Alors, vous serez tous trois heureux, lui, vous et votre voisin.
Si ce dernier vous le retourne un jour et que ce raton laveur se montre franchement trop dissipé, ayant appris de mauvaises manières chez votre voisin, menacez-le. Dites-lui qu’il pourrait bien finir comme le chapeau de Davy Crockett, le « roi de la frontière du bout du monde ». Chantez-lui la chanson s’il ne vous croit pas. Dites-lui que, du côté américain, elle comme d’autres — celles de Presley, Berry, Holly, Valens, et les Platters, par exemple— ont baigné notre jeune adolescence. Peut-être qu’un pareil argument le rendra plus sage !
Et évitez surtout de lui apprendre le maniement d’une tablette électronique ou d’un téléphone intelligent, car bientôt votre cour serait pleine de ses copains à lunettes. Vous n’arriveriez plus à vous en sortir.
Vous êtes encore sceptique ? Allez, dites-vous que vous seriez choyé de l’avoir chez vous. Et rappelez-vous que ce cher Jacques Prévert a beaucoup aimé un jour sa rencontre avec ce personnage à lunettes à Paris.
Je me risquerais volontiers à l’adopter ce petit mec à lunettes, moi. Mais j’y vois un empêchement de taille : mon chat dont la face ressemble pourtant à la sienne comme s’ils étaient cousins ne reconnaîtrait pas cette parenté, refuserait de partager sa maison et l’affection de la maîtresse des lieux.
C’est un rusé et un fort habile !