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Articles de la catégorie ‘Littérature, lecture’

Je ne fais que débuter la lecture de ce document « La Bhagavad-Gita ». Mais voici quelques courts passages.

Le corps naît avec pour destin de périr, un jour ou l’autre; il a donc moins d’importance que l’âme. Le vrai sage le sait, et aucun des divers états du corps ne le porte à se lamenter. Deuxième chapitre, verset 11, page 51.

À l’instant de la mort, l’âme prend un nouveau corps, aussi naturellement qu’elle est passée, dans le précédent, de l’enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas qui a conscience de sa nature spirituelle. Chaque être est une âme spirituelle, distincte de toute autre. À chaque instant, celle-ci change de corps et se manifeste sous la forme d’un enfant, puis d’un adolescent, d’un adulte et d’un vieillard. Mais, à travers ces mutations, elle reste identique à elle-même et ne subit aucun changement. Finalement, à la mort de l’enveloppe charnelle qu’elle habitait, cette âme transmigre dans une autre. Sachant que l’âme est certaine de revêtir un autre corps, matériel ou spirituel, pour une nouvelle vie. Deuxième chapitre, verset 13, page 53.

L’âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Vivante, elle ne cessera jamais d’être. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n’eut jamais de commencement, et jamais n’aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps. l’âme ne connaît ni passé, ni présent, ni futur. […] Elle est éternelle et originelle : rien ne laisse croire qu’elle ait seulement pu avoir un commencement. L’âme ne vieillit pas non plus comme le corps. C’est pourquoi le vieillard se sent intérieurement identique à l’enfant ou au jeune homme qu’il fut. Les changements de corps n’affectent pas l’âme : elle ne dépérit pas comme le fait un arbre ou tout autre objet matériel ; elle n’engendre pas non plus de descendance. Deuxième chapitre, verset 20, page 62

Trois autres personnages connus qui appuient « La Bhagavad-Gita telle qu’elle est ».

Thomas Merton (1915-1968), né à Prades, dans les Pyrénées Orientales, et décédé à Bangkok, en Thaïlande, moine américain, théologien, écrivain spirituel, poète et militant pacifiste. « Bhaktivedanta Swami apporte à l’Occident un rappel salutaire, à savoir que notre culture effrénée à sens unique fait face à une crise, qui peut l’amener à sa propre destruction, car elle manque de l’intense profondeur d’une conscience métaphysique authentique. »

Jean Varenne (1926-1997), né à Marseille et décédé à Paris, indologue français, spécialiste de l’hindouisme, du sanskrit, des cosmogonies védistes et de nombreux sujets touchant aux traditions de l’Inde et aux religions de l’Iran ancien. « Ce livre, la Bhagavad-gita telle qu’elle est, de A. C. Bhaktivevedenta Swami Prabnupata, magnifiquement présenté, est d’une valeur inestimable, car l’Occident connaît mal ce courant majeur de l’hindouisme… On ne peut donc que recommander vivement la lecture d’un ouvrage qui mérite de maintes façons d’être tenu pour considérable. »

Lanza Del Vasto (1901-1981), né dans les Pouilles, en Italie, et décédé à Murcie, en Espagne, écrivain et poète de langue française, philosophe, sculpteur, dessinateur et musicien. « Il est précieux, pour le public français, de posséder ce livre regardé comme sacré par les sages de l’Inde, éclairé par l’exégèse de A. C. Bhaktivevedenta Swami Prabnupata, maître prestigieux, héritier d’une haute tradition. »

Dans les Cahiers de Simone Weil (1909-1943), l’éditeur Plon invoque que Bhagavad-gita apparaît et on le définit comme « un poème religieux et philosophique de l’Inde ancienne; date indéterminable ».

Des personnages connus appuient La Bhagavad-Gita.

Henry David Thoreau (1817-1862), philosophe, naturaliste et poète américain est du groupe. « Je baigne chaque matin, dit-il, mon intelligence dans la prodigieuse philosophie cosmogonique de la Bhagavad-Gita. Des milliers d’années se sont écoulées depuis sa composition, mais en comparaison de cette œuvre, notre monde moderne et sa littérature semblent chétifs et insignifiants. »

Aldous Huxley (1894-1963), écrivain, romancier et philosophe britannique. « La Bhagavad-Gita est le plus clair et le plus riche recueil de philosophie éternelle jamais compilé. Cela en explique la valeur permanente, non seulement pour le peuple indien, mais pour toute l’humanité. »

Arthur Schopenhauer (1788-1860), philosophe allemand. « Il s’agit là de l’œuvre la plus instructive et la plus sublime qui soit au monde. »

André Chédel (1915-1984), philosophe et chercheur suisse, écrivain, orientaliste et journaliste. « L’œuvre entreprise par le Swami Prabhupada est à la fois considérable et précieuse, car en lisant ses traductions du Srimad-Bhagavatam et de la Bhagavad-Gita le spiritualiste et le sanskritiste sont assurés de posséder une nourriture spirituelle insurpassable et un instrument de travail incomparable qui permet d’avoir accès à la moelle du texte. La pensée authentique est ainsi restituée dans sa pureté primitive, sans apports subjectifs subséquents. »

Je viens de trouver « La Bhagavad-Gita, telle qu’elle est ». Il s’agit du premier des grands classiques de l’Inde. Un pavé qui fait 878 pages. Ce livre fut publié à Montréal, aux Éditions Bhaktivedanta, en 1990.

Je suis très heureux d’avoir trouvé ce classique.

Dans deux pages précédant la page-titre, on écrit: Réponses millénaires aux questions actuelles.

Qui suis-je ? Quelles sont les origines de la vie ? Qu’y a-t-il après la mort ?

Ces questions de base ont depuis toujours tourmenté l’homme en quête de connaissance.

La Bhagavad-gita qui, depuis 5, 000 ans, a fasciné les plus grands penseurs, y donne des réponses logiques et rationnelles. Source inépuisable de connaissance toujours d’actualité à travers les âges, elle aide l’homme dans sa recherche philosophique comme dans sa vie quotidienne, utile aussi bien au philosophe, savant, politicien, homme d’affaires, artiste, ouvrier, étudiant, mère de famille… En mettant l’être en contact directe avec le Divin, elle l’aide à éveiller ses facultés internes endormies, à diriger sainement ses actes et à trouver par là la paix et l’harmonie.

Dans ces deux pages précédant la page-titre, on y lit huit personnages qui appuient cet ouvrage. Arrêtons-nous à Romain Rolland (1866-1944) écrivain français, Prix Nobel de littérature en 1915 :

Que d’autres viennent à leur tour puiser à ce réservoir de sagesse pratique les pensées inspiratrices de leurs actions, comme le font journellement des milliers d’hommes appartenant à la race la plus intensément religieuse du monde.

On viendra à d’autres « appuyeurs ».

Ce cher Satprem conclut que nous arrivons à une véritable conscience.

Plus temps de s’évader, plus temps de chercher dans l’extérieur des choses, dans les temples séniles, les Écritures, mais de transmuer tout. Plus temps d’inventer des systèmes, encore des systèmes, encore des évangiles, mais de rassembler toutes nos forces et de lancer notre foi très haut, comme un harpon de lumière pour crever le ciel de suie — et tirer un Rayon d’or qui change la face des choses.

Ah! point nés pour tourner en rond dans les cycles aveugles! Changeons la vague qui nous emporte en conscience qui roule les mondes — une conscience qui se souvient dans un corps qui rayonne. Car en vérité, ce qui était au début doit se retrouver à la fin, non plus dans un éclatement solaire où tout est aboli, non plus dans un éclatement noir où tout est englouti, mais dans un corps radieux sur une terre accomplie, dans l’innombrable joie des formes qui expriment Dieu partout.

Tout est joie, il faut se souvenir, se souvenir! Elle est là tranquille et sûre sous la peau noire des choses. Elle nous aime.

Et je devine des profondeurs, des profondeurs sans fin, des étendues de conscience comme des mers frémissantes de soleils.

Je sens cela tout proche, comme un sourire derrière un voile. Nous sommes au bord de quelque chose, la vie commence!

Rêvons divinement. Et la lumière dans un corps.

La crique ruisselle au bastingage de mon grenier. Ah! que reste-t-il des boues anciennes ? jamais été, jamais été — rien qu’une petite poudre de joie qu’au long des jours secrètement, j’avais orpaillée, rien qu’un sourire tout au fond. Ah! que reste-t-il!… Je suis ce seul enfant radieux avec l’éternité dans le cœur.

Et cette Présence autour, cette Présence en moi très douce, qui me tire comme par un fil de lumière vers je ne sais quel envol, et qui m’emporte dans une risée sur un grand voilier blanc. […]

Le corps mort est largué. Déjà j’ai pris ma gîte sur les premières lueurs vertes de l’aurore, déjà la route est belle; je tiens ce fil de lumière qui tire, qui tire vers les grandes Indes chargées d’espoir.

15 août 1957.

Satprem, L’orpailleur, Éditions du Seuil, 1960. Voilà de courts passages des pages 237 et 238. Ce qui termine cet ouvrage.

Selon Satprem, viendra un jour, après des millions d’années, où « nous comprendrons la gloire secrète qui était en nous depuis toujours, dans un corps, et cet enfant sauvage qui fut roi d’exil dans nos cités modèles ».

Alors se lèvera parmi nous la race des fils légers, les Resplendissants au tranquille sourire. Et cette terre connaîtra l’enfance et la joie, parce qu’elle est terre des songes qui vivent. […]

Il faut choisir, Gregory, à chaque instant choisir Jeter par-dessus bord… […]

Me revoilà seul . Et je ne sais rien… Le grenier craque, les ombres tremblent. Je ne sais rien, ni où aller, ni que faire. Je ne veux pas de Gregory, pas de cette crique, et je ne veux pas du vieux monde, ni de ces hommes qui rapetissent la vie.

Je n’ai rien que cette foi, cette petite flamme au fond. Cela et rien d’autre. Et j’appelle, j’appelle dans le silence. J’appelle pour savoir. […]

Et je ne sais plus très bien par quel bout me prendre. La masse ancienne des jours est là qui pèse, et des habitudes de penser qui veulent reprendre le fil, mais elles flottent, comme si elles ne retrouvaient plus leur creux. […]

Je veux le vrai de mon être, le vrai de ma vie. Cela et rien d’autre. Je suis dans cette minute tout entier, sans avenir, sans passé. Je suis prière et silence dans cette minute. Je suis nu et j’appelle.

Quelque chose pétille sous la lucarne, devant moi — et soudain je sens que je sais. […]

Et soudain il me vient une reconnaissance infinie d’être seul, cet oiseau migrateur posé là pour un soir. Je voudrais dire merci, merci d’être là sans rien, vagabond sans foi ni loi — ah! une foi de granit, un loi d’or — sans rien que cette petite chaleur au fond qui me fait libre comme le vent. […]

C’est venu tout à coup avec une telle évidence : je pars pour les Indes. […]

Tout est joie, mais nous avons oublié.

Depuis si longtemps nous sommes en route, depuis de très vieilles forêts et des temples obscurs, en route comme à la recherche d’un puits qui étancherait notre soif pour toujours. Et nous portons tout le poids de la nuit d’où nous étions partis, marcheurs aux millénaires. Et nous nous souvenons, vaguement, très loin d’une grande lumière qui nous aimait autrefois, et nous berçait dans une enfance.

Et les eaux ont roulé. Les eaux noires du commencement des mondes où tout était oubli et stupeur.

Et nous avons grandi, lentement, obstinément, à travers des marais et des jungles, des nuits polaires, des déserts de feu. Et nous avons durci notre carapace pour lutter contre le noir cruel des choses, tranché le fil d’or qui nous faisait chair de la chair des mondes. Seuls, nous sommes devenus, hommes seuls dans le dur des choses.

Et toujours notre soif, cette nostalgie des eaux noires du commencement des mondes, cet appel des eaux de lumière d’avant les Temps. Ah! cet appel d’enfance qui nous hante, comme si nous étions moins que des hommes, plus que des hommes.

Satprem, L’orpailleur, Éditions du Seuil, 1960. Ce sont de courts passages des pages de 230 à 235. Je m’y plais beaucoup.

Et Satprem continue avec Gregory.

Écoute, Gregory, nous sommes perdus tous deux, ce soir, sur cette crique parce que nous sommes enfoncés dans une petite aventure personnelle. Il faudrait sortir de là. C’est ça qu’il faudrait… passer à une autre altitude. Une autre altitude et les choses se révèlent. Les symboles livrent leurs clefs — tout devient possible! Ah! tout est symbole… tout est symbole de quelque chose par-derrière — mais non des forces obscures que tu connais et qui se dévorent… des symboles qui s’emboîtent et qui pétillent de mille sens. Mais nous n’en voyons qu’un, celui qui crève les yeux, la croûte et le masque que nous prenons pour la chose même… Changer d’altitude, et les choses se chargent de sens — et la même pierre devient gemme qui rayonne de mille mondes. Voir avec le moi de lumière, et au lieu du vain voyage, c’est la vraie vie qui commence.

Pour toi peut-être, et les autres ?

Mais nous sommes tous ensemble, Gregory, tous ensemble pour le meilleur et pour le pire. Tout ce qu’on gagne en conscience est conscience pour les autres. Notre seule victoire sur la nuit est une victoire pour tous, notre seule victoire sur la souffrance, un allégement pour le fardeau total du monde. Tous ensemble !

Il faut d’abord pouvoir sur soi.

Et ceux qui peuvent vraiment quelque chose pour ce monde, ceux qui protègent ce monde — pas du bricolage, du vrai pouvoir sur les causes — ce sont peut-être des inconnus silencieux, ici et là, des hommes nés vraiment et libres, qui se tiennent au-dessus de nos tourbillons et pour qui pouvoir est le signe même de l’amour…

Ceux-là ont mille vies — et l’univers entier pour champ d’action. […]

Tu vois, Gregory, le drame pour nous en Occident, c’est qu’on n’a rien pour respirer. On vit à côté. On passe son temps à durcir sa carapace. Ah! je t’assure, la muraille de Chine n’est rien à côté de ces murs… Mais il y a un enfant sauvage en nous, quelque chose qui chauffe, qui aime, qui est plein de grands vents et d’espace, un rebelle merveilleux, et qui pourtant n’est pas un révolté, pourtant pas un négateur, mais l’affirmateur vraiment qui porte la flamme des hautes mémoires.

C’est cela qui étouffe en nous.

Et qu’avons-nous pour respirer là-bas, dis-moi ? Dès que ça bouge en dedans, on ne trouve que des Églises — tout de suite elle veulent boucler ça dans leur dogme — ou un occultisme dévoyé, ou des livres, encore des livres, comme si nous n’étions que des bêtes à cervelle, des bêtes à purgatoire. Et, pour le cœur, débrouille-toi avec ta femme, Ah! nous vivons mal.

Mais nous sommes autre chose que de la tête et du cœur sentimental, autre chose que des hérédités plus ou moins lourdes, et nous voulons respirer. Ah! ouvrir la porte et respirer jusqu’au fond, trouver notre totalité d’homme dans une vie totale enfin.

Et si cette chose en nous se voit dénier la vie, ce monde sera détruit, parce qu’il est né pour elle.

Satprem, L’orpailleur, Éditions du Seuil, 1960. Ce sont ici de courts passages pris dans les pages 227 à 229, de ce roman. Décidément, ce cher Satprem nous fait faire une beau voyage.

Satprem poursuit sa rencontre avec son ami Gregory.

Nous sommes des témoins. Les archanges douloureux d’un monde qui croule. Nous sommes les fils d’une race nouvelle qui n’est pas encore née, mais qui vibre à travers nous comme un vent chargé de menaces et de pollens nouveaux. Je ne sais pas ce que nous voulons dire, notre oracle est scellé, nos songes sont obscurs, nos signes contradictoires. Nous n’avons pas la clef. Mais nous sommes là sur un seuil nouveau à frapper, frapper comme dut le faire le premier primate dans la forêt, qui voulut être un homme. Et nous nous perdons dans la révolte, perdons dans l’orgueil des victimes, dans la fascination du refus, du désert et des rêves. Mais notre sens n’est point d’être victime, ni de fuir; il est par-delà la révolte.

Notre sens est de frapper, frapper comme des enfants dans la nuit, jusqu’à ce que la porte s’ouvre. […]

Satprem dit à Gregory : Mais pourquoi tournes-tu autour de moi ? Ça t’intéresse donc tellement que je parte avec toi!

Gregory sursaute, comme s’il était pris en faute.

Damn it! Fais ce que tu veux après tout, avec ta loi plus haute que le hasard…

Mais je sais, Gregory, je sais parce que j’ai expérimenté; pas une fois, mais des dizaines de fois… Écoute, ce n’est même pas la question de « Vouloir un peu fortement » comme tu dis, parce qu’on ne sait même pas ce qu’il faut vouloir, on a des quantités d’idées contradictoires sur ce qu’il faut vouloir, ça change d’un jour à l’autre… Il faut trouver un autre point que la tête ou le cœur, quelque chose en dedans qui ne varie pas. Et quand on entre en contact avec ça, la vie change. On sort du hasard pour entrer dans une loi plus haute qui ressemble à de la liberté, et qui a le pouvoir sur les choses. Je sais, Gregory… j’ai vu, vécu, touché cela.

Ah! il n’y a pas de hasard, pas de hasard quand on sort de la trappe, et de cette fourmilière à mariage et à business. Pas un hasard si je suis là, sur cette crique, dans ce grenier. Pas un hasard si j’ai rencontré ce Sao Luiz qui m’a secoué jusqu’à l’âme — juste le choc qu’il faut au moment où il faut… Et cette minute, ce soir, ta guitare même ont quelque chose à me dire. Tout prend un sens, tout devient signe quand on change son point d’appui en dedans. Tout répond à quelque chose, c’est cela répond.

Quelqu’un, dedans, qui sait et qui conduit : un moi de lumière — pas la chose jobesque dehors. Quelqu’un qui vous met la main juste sur le livre qu’il faut, qui ouvre la porte qu’il faut, vous met devant l’événement, la chose, la personne qu’il faut… Et tout arrive comme une réponse à son appel.

Gregory a cessé de gratter sa guitare et il me regarde intensément.

C’est simple, Gregory, tout simple pourtant… Écoute, je suis parti sur des routes, sans rien, et j’avais tout quitté, et je ne voulais rien de la vie qu’une petite brise légère à danser, la liberté comme on respire. Et je me moquais de la fortune, des tendresses, moquais de l’avenir — ah! le présent était gorgé de tout l’avenir — moquais de tout, sauf de cette chaleur dansante dans le cœur, et qui sent large comme la lande.

J’étais sur des routes et il n’y avait rien, et peut-être n’allais-je pas manger, peut-être y avait-il des grajes là-haut, sur la crique Dolérite, et des prisons, des inquisiteurs de toutes sortes, des consulats à vous claquer la porte au nez. Peut-être la solitude et cette petite épave un jour, que tout le monde vous prédit — et j’étais riche, riche comme une goélette en route pour le trésor inca. Et jamais seul.

Et tout venait, tout m’était donné, comme aux enfants. Ah! je ne voulais rien de la vie, que mon odeur de lande rebelle et du large qu’on respire… Je ne voulais rien et elle me donnait tout. Il suffisait que cette petite chose en moi voulût — oh! toute petite comme un cristal de neige, comme un oiseau blotti — pour que tout s’ouvre et jaillisse de rien, comme un don d’amour.

Satprem, L’orpailleur, Éditions du Seuil, 1960. Ce sont ici de courts passages pris dans les pages 168 et 224 à 226, de ce roman de Satprem. J’aime beaucoup ce livre.

Retournons chez Satprem, en conversation avec son ami Gregory. Il évoque ce qu’il a vécu en Allemagne, à Buchenwald, à l’âge de 20 ans.

Et quelque chose s’est rompu.

Ah! fausse nuit! Faux moi qui marchait dehors quatre par quatre et la pelle sur l’épaule! J’étais comme étourdi de bonheur, j’aurais voulu toucher les choses, prendre des mains, j’étais ressuscité des morts. Faux frère dehors! — J’étais dedans comme un sourire léger. Faux soleil, fausse souffrance! — Ça levait, levait en moi comme une flamme pour brûler toutes les ombres, un grand vent à laver les mensonges.

Ah! que pouvaient me faire les armes de ces faux hommes et tous leurs crématoires! J’étais le feu qui brûle le feu. J’étais invulnérable et libre, libre. J’étais cela au creux du cœur, sourire et flamme. J’étais le vent qui ne meurent pas, l’odeur d’un printemps sauvage. J’étais l’espace et les grandes landes avec le cri d’une mouette, et cette constellation chantante dans la dérive du ciel. J’étais la Joie, la Joie comme un cri d’hirondelle derrière tout ce mensonge, et cette clarté derrière la nuit — une île de lumière battue d’oiseaux blancs.

Et j’ai marché jusqu’au fleuve, comme porté par un souffle, avec un sourire qui aime. […]

Je traîne avec moi toutes sortes d’hommes — c’est navrant — et quelques bêtes aussi. J’ai essayé toutes sortes de continents, je suis entré dans toutes sortes de peaux. J’ai eu toutes les religions infaillibles qu’on peut avoir — j’ai même adoré Sekmeth, un jour au bord du Nil, parce qu’elle m’avait donné un coup au cœur, comme ça, sans que je lui demande rien. Ah! il faut faire tout le tour, Grégory, et ça n’en finit pas. Je suis un bric-à-brac de choses, et quelques autres que je n’ai pas encore crachées — un marin, oui, un amant, un ascète, un boulotteur infatigable; je suis nègre et mongol, pharaon, premier communiant, parricide, parricide! et parfois j’ai des ailes — un vrai carnaval, et pas pour rire. […]

On n’en finit pas de faire le tour.

Une multitude en dedans. Une multitude de petits je séparés qui tourbillonnent dans le corps, au-dessus, en dessous, partout, comme des planètes folles autour d’un mystérieux soleil. Et on voyage. Interminablement on voyage, d’une planète à l’autre à travers nos années, des Indes à Cayenne, au diable je ne sais où, à travers des vies et des vies, d’un je à l’autre, à des dizaines et des dizaines d’autres, toujours plus vrais les uns que les autres, toujours plus péremptoires et dinosauresques. Et on devient toutes sortes de vérité infaillibles, toutes sortes de systèmes irréfutables, une multitude d’expériences qui se heurtent et se dévorent, et nous dévorent — une multitude de frères contradictoires. Où est le vrai, ou donc ? Et chaque fois, il semble qu’on tient l’absolu, chaque fois la vérité increvable, à se mettre à genoux et à cracher je le jure, et tous les autres pantins s’évanouissent, comme si on les avait rêvés, et on passe la moitié de sa vie à croire qu’on a rêvé l’autre, à renier ou à prêcher — à oublier. Déjà la vérité de ce soir est du rêve pour demain, et on tourbillonne, tourbillonne sans fin d’une planète à l’autre, infatigables saltimbanques.

Satprem, L’orpailleur, Éditions du Seuil, 1960. Ce sont ici de courts passages pris dans les pages de 157 à 160, de ce roman de Satprem. Comme je vous le disais, si jamais vous en voyez une copie chez votre libraire, attrapez-la.

Je vais vous raconter une histoire, une histoire vraie. Mon fils et moi, pendant deux ans (en 1975 et 1976), été comme hiver, avons lancé dans la mer, là où se trouve aujourd’hui le Quai des cageux à Québec, le long du boulevard Champlain, des bouteilles contenant un message. J’avais prévenu mes amis de me donner leurs bouteilles vides. Ce temps fut merveilleux. Il y eut 455 bouteilles qui ont quitté Québec. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons eu une quarantaine de bien belles réponses. Et diverses. Des personnes habitant les rives du Saint-Laurent au sud et au nord. Et plus loin. Terre-Neuve. Les Îles-de-la-Madeleine. L’Île-du-Prince-Édouard. Et Miquelon. Pour composer les quatre pages du texte du message, je me suis beaucoup inspiré des textes très riches de Satprem (pseudonyme de Bernard Enginger), un sage né à Paris le 30 octobre 1923 et qui a longtemps vécu à Pondichéry, en Inde. Il s’est envolé le 9 avril 2007. Mon fils, au fil du temps, a bien aimé le texte. Je vous laisse ici la page 3 de ce message, espérant que vous puissiez lire ce texte dur pour les yeux. Il provient de quelqu’un qui l’a trouvé au Bic. Prenez soin de Vous.