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Une réflexion sur la fuite

thierry pardo couverture

Je cherchais un livre de Rick Bass, Le Journal des cinq saisons. Que j’ai trouvé finalement. Par la même occasion, Gabriel Guérin, mon bien sympathique libraire chez Pantoute, me parle de Kenneth White, que je connais bien, et me donne à regarder l’ouvrage d’un auteur et d’une maison d’édition qui m’étaient inconnus. Thierry Pardo, Les Éditions du passage.

Petit livre sobre, de moins de 60 pages, fascinant, étonnant, exigeant aussi. Qui vient tout juste de paraître, le 8 avril. Petite géographie de la fuite. Essai de géopoétique. Réflexion sur la fuite à travers quatre personnages, l’exilé volontaire, le pirate, le déserteur et l’ermite. «Les fuyards n’ont pas vocation d’exemple, écrit Pardo. Ils montrent l’opacité des murs, le droiture des règles et des chemins auxquels il est bon d’échapper, le temps d’un souffle, d’un vagabondage ou d’une vie.»

Inspiré par Henry David Thoreau, qui vécut près de son étang de Walden, dans le Massachusetts, Pardo propose des mots sur l’ermite. Extraits.

L’ermite fuit les bruits. Il se cherche un silence loin du tumulte des villes. L’ermite sent vivre en lui une poésie qui se chuchote. Sa quête consiste à découvrir le lieu où il puisse exprimer cette poésie personnelle, trouver ses mots et prendre le temps de les dire. Son inspiration réside en partie dans la critique qu’il adresse à ses contemporains, leurs vaines ambitions, leurs soucis d’épargne, leurs places dans la mondanité. Mais ici la critique n’est qu’un prétexte. La motivation viscérale de l’ermite et de sa fuite dans les bois est d’essence naturaliste. La forêt est pour lui l’image non déformée de ce que devrait être le monde. Sa forêt d’ailleurs n’est pas seulement faite d’arbres et d’oiseaux, elle prend corps dans le socle minéral d’un granit sans âge, elle se gorge de terre humide pleine d’escargots et de scolopendres [mille-pattes].

Sa forêt est tout simplement le monde premier, archaïque et beau de la violence de ses orages à la douceur de sa pluie. C’est dans cette nature primordiale que l’ermite laisse pousser les mots sauvages de sa poésie. Arrivés à maturité, il les cueille et leur donne une place dans le poème de sa vie. Son recueil de poèmes est l’herbier de ses randonnées méditatives.

L’ermite a la fuite douce. Un jour, lassé du vacarme des boutiquiers, il part s’installer dans la frugalité d’une cabane de planches dont les murs ne sont pas assez épais pour le couper des chants des oiseaux. Ses fenêtres n’ont pas de rideaux et le soleil qui entre n’est jamais mal accueilli. L’ermite est le fuyard apaisé. Son horizon ne cherche pas la ligne courbée de la fin du monde mais l’abri tranquille de la voûte des branches. […]

L’ermite ne part pas dans les bois, il y revient. Il veut goûter à pleins poumons le souffle gourmand de sa primordialité, il cherche à nouer de nouveau son expérience à sa nature la plus minérale. Il rentre chez lui pour y connaître enfin l’étymologie de lui-même.

Le cadeau de l’ermite à la forêt est de donner un sens à l’humus — non que la forêt en ait besoin — mais en faisant de son ermitage une quête de conscience, l’ermite offre une valeur symbolique aux arbres ensommeillés. Ainsi, prendre le parti du bois devient un acte engagé, et nombreux seront ceux qui, le temps d’une vacance du monde, chercheront le sens de leur être dans l’inventaire des scarabées. Une ligne de fuite passe désormais par un chemin forestier.

Grâce à l’ermite, la cabane sera toujours au centre du monde, à cet endroit précis où des graines de mots poussés dans le silence peuvent nous raconter. La lisière des bois devient alors la peau organique d’une forêt de chair, la cabane sera l’os et nous serons la moelle. Que l’on se découvre savoureux ou indigeste, c’est dans cette cabane que nous pourrons vivre l’expérience de notre propre substance. Voilà ce que sera toujours le cadeau de l’ermite au bois, au désespoir agité des villes.

La porte du monde passe désormais par la cabane de l’ermite au détour d’un bosquet fendu par un chemin de terre. La simplicité est difficile à regarder en face, on se découvre souvent bien plus complexe que l’on ne se croit, mais le sauvage œuvre en révélateur et l’expérience de l’ermite sert de synthèse dans l’alchimie de ma propre transformation.

thierry pardo quatrieme de couverture

6 commentaires Publier un commentaire
  1. Henri Desmeules #

    Superbe texte , merci !

    18 avril 2015
  2. Jean Provencher #

    Salutations, cher Monsieur Desmeules.

    18 avril 2015
  3. Thierry Pardo #

    Merci monsieur pour ces bons mots à propos de mon livre.

    19 avril 2015
  4. Jean Provencher #

    Je vous en prie, je vous en prie.

    19 avril 2015
  5. Esther #

    Comme tout cela est beau ! Des mots simples qui mariés ensemble forment des images magnifiques… Quelle vivante et poétique manière de présenter cette réflexion… J’en suis toute retournée ! Merci d’avoir partagé cette sublime et fascinante découverte !

    20 avril 2015
  6. Jean Provencher #

    J’ai bien aimé ce petit livre étonnant.

    21 avril 2015

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