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Madame de Lorimier n’est plus (première partie)

Le 7 décembre 1891, coup de tonnerre au Québec, on apprend le décès de l’épouse du Patriote de 1837-1838 le plus connu avec Jean-Olivier Chénier, François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier. Les journaux ne paraissant pas le lendemain, jour de la fête de l’Immaculée-Conception, c’est le 9 décembre 1891 qu’on y fait écho. Le quotidien montréalais La Patrie offre alors à ses lecteurs un long texte que nous vous proposons en deux parties, aujourd’hui et demain.

 

Tous les journaux de lundi [le 7 décembre] publiaient l’avis de décès suivant :

De Lorimier — À L’Assomption, le 6 décembre 1891, à l’âge de 78 ans et 9 mois, Madame Marie Henriette Cadieux de Courville, veuve de Marie Thomas Chevalier de Lorimier, en son vivant notaire de Montréal et l’un des patriotes de 1837-38. Les funérailles auront lieu à L’Assomption jeudi le 10 courant à neuf heures a. m. Parents et amis sont priés d’y assister sans autre invitation.

Avec cette noble et vertueuse femme disparaît une des personnalités les plus sympathiques des glorieux événements de la révolution de 1837. Nous n’avons pas l’intention de raconter ici en détail toutes les péripéties de l’exécution du martyr politique Chevalier de Lorimier, mais nous croyons cependant devoir rappeler que sa brave et vertueuse femme avait fait tous ses efforts pour sauver la vie de son mari, du père de ses enfants. Elle avait adressé au gouvernement une requête à laquelle il ne répondait pas. M. Prieur raconte dans son livre qu’elle disait dans cette requête écrite en termes touchants que l’affection qu’elle portait à son infortuné mari et l’intérêt de ses trois pauvres petits enfants, dont l’aîné n’avait que quatre ans, l’engageait à s’adresser à Son Excellence pour implorer sa pitié et sa miséricorde.

« Votre requérante n’avait, disait-elle, pour vivre et supporter ses pauvres petits enfants que le produit du travail et de la profession de leur père; elle ne peut, sans anxiété, penser au moment fatal où elle sera laissée seule, sans aucun moyen d’existence.

Votre Requérante n’a pas l’intention de faire l’éloge de son mari, de parler des services que sa famille a rendus au gouvernement anglais pendant longtemps; c’est comme épouse et comme mère qu’elle s’adresse à Votre Excellence au moment où elle est menacée de perdre celui pour lequel elle a une affection dont ses paroles ne peut donner l’idée. »

Mais non ! Il fallait le sang des victimes pour sanctifier la cause de l’insurrection et le brave de Lorimier fut exécuté le 15 février 1839.

 

Lettre écrite par de Lorimier à sa femme, le matin de son exécution,
et trouvée sur son cœur, après sa mort.

Prison de Montréal, 15 fév. 1839,
à 7 heures du matin.

Ma chère et bien-aimée femme,

À la veille de quitter mon lugubre cachot pour monter sur l’échafaud déjà rougi de sang des nobles victimes qui m’ont précédé, mon cœur et le devoir m’engagent à t’écrire un mot, avant de paraître devant Dieu, le juge suprême de mon âme. Dans le peu de temps qui s’est écoulé depuis le jour de notre union sacrée jusqu’à ce jour, tu m’as rendu, ma chère femme, vraiment heureux. Ta conduite envers moi a toujours été irréprochable et dictée par l’amitié, la bonté et la sincérité.

J’ai toujours su apprécier tes vertus. Aujourd’hui même, des hommes altérés de sang m’arrachent à tes bras, mais ils ne réussiront jamais à effacer mon souvenir de ton cœur, j’en suis convaincu. Ils t’enlèvent ton appui et ton protecteur et le père de tes chers pauvres petits enfants. La Providence et des amis de mon pays en auront soin. Ils ne m’ont même pas donné le temps de voir mes chères petites filles, de les presser sur mon cœur et de leur dire un éternel adieu. O cruelle pensée ! Cependant je leur pardonne de tout mon cœur.

Quant à toi, ma chère, tu dois prendre courage et te pénétrer de la pensée qu’il faut que tu vives pour l’amour de tes enfants infortunés qui auront grandement besoin des soins d’une mère tendre et dévouée. Pauvres enfants ! Ils n’auront plus mes caresses et mes soins.

Je t’assure, ma chère Henriette que, si des régions célestes, il m’est permis de veiller sur toi et de t’aider, je fortifierai ton cœur brisé. Mes chers petits enfants seront privés de mes caresses, mais tu leur donneras doublement les tiennes, afin qu’ils ressentent moins la perte qu’ils auront faite. Je ne te verrai plus dans ce monde. Oh quelle pensée ! Mais toi, ma chère Henriette, tu pourras me voir encore une fois, mais alors mon corps sera froid, inanimé, défiguré. Je finis, ma chère Henriette, en offrant à Dieu les prières les plus sincères pour ton bonheur et celui de mes chers petits enfants. Hier soir, tu as reçu mes derniers embrassements, mes adieux éternels; cependant du fond de mon cachot humide et sinistre, au milieu des appareils de la mort, je sens le besoin de te dire un dernier, dernier adieu. Ton tendre et affectueux mari enchaîné comme un meurtrier, dont les mains seront bientôt liées, te souhaite, ma chère Henriette, de jouir de tout le bonheur dont ton cœur brisé sera susceptible à l’avenir.

Sois donc heureuse, ma chère et pauvre femme, ainsi que mes chers petits enfants, c’est le vœu le plus ardent de mon âme. Adieu, ma tendre femme, encore une fois adieu; vis et sois heureuse.

Ton malheureux mari,
Chevalier de Lorimier

 

Dans le mois de février 1883, raconte M. L. O. David, dans son livre «Les Patriotes», le Dr Fortier, de Ste-Scholastique, publiait dans La Tribune de Montréal, une lettre qui émut profondément le cœur de notre population. Il levait, dans cette lettre, un coin du voile qui cachait depuis près de quarante-cinq ans l’existence humble de la famille d’une des victimes les plus nobles, les plus admirables de 1837-1838. Il disait que dans le joli village de L’Assomption vivaient, dans le deuil et l’abnégation, la femme et les deux filles de de Lorimier. Il demandait s’il n’était pas temps de payer une partie de la dette sacrée que nous avions contractée le jour où de Lorimier, à la veille de monter sur l’échafaud, recommandait en termes si éloquents sa femme et ses enfants à la sympathie de ses compatriotes. « O mes chers compatriotes, s’écriait-il, je vous confie mes enfants. Je meurs pour la cause de mon pays, de votre pays; ne souffrez donc pas que ceux que je suis obligé de quitter souffrent de la pauvreté après ma mort ! »

Dans le testament politique qu’il écrivit, la veille de sa mort, à 11 heures du soir, il disait :

« Pauvres enfants, vous n’aurez plus qu’une mère tendre et désolée pour soutien ! Si ma mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence, demandez quelquefois en mon nom, je ne fus jamais sensible à l’infortune. »

Comment résister à des appels aussi déchirants ? Comment rester sourds aux accents pathétiques de cette voix d’outre-tombe ?

Mais la situation était délicate. La femme de cœur qui, pendant quarante-quatre ans, avait souffert en silence, vécu dans la gêne sans se plaindre, et refusé l’aisance plutôt que de renoncer au nom glorieux de celui dont elle était la digne épouse, cette femme avait des sentiments qui méritaient d’être respectés.

Ce n’était pas un acte de charité, mais une œuvre de réparation nationale qu’il fallait accomplir.

L’auteur de ce livre, ayant obtenu certains renseignements nécessaires, entreprit d’organiser une souscription publique au profit de la veuve et de deux filles du patriote de Lorimier. Aidé de M. [Honoré] Beaugrand, le propriétaire de La Patrie, de M. [Louis] Fréchette et de quelques-uns des principaux citoyens de Montréal, il réussit à recueillir en peu de temps le montant requis. Il s‘agissait d’avoir un millier de piastres; on en trouva trois cents de plus, qui furent divisées entre les veuves du capitaine Jalbert et d’Ambroise Sanguinet.

Cette souscription donna lieu à plusieurs soirées et démonstrations qui eurent pour effet de réveiller le souvenir un peu endormi d’une des époques les plus intéressantes de notre histoire. On s’émut au récit des souffrances des infortunées victimes de 1837-1838, et la lecture des lettres d’adieu de de Lorimier et  [Joseph-Narcisse] Cardinal firent verser bien des larmes.

 

On trouve la biographie de Chevalier de Lorimier par Michel de Lorimier dans le Dictionnaire biographique du Canada.

Il y a aussi plusieurs sites internet sur les événements de 1837-1838, dont une page Wikipédia.

L’illustration ci-haut est tirée de l’ouvrage de Chevalier de Lorimier, Lettres d’un Patriote condamné à mort, Montréal, Comeau & Nadeau Éditeurs, 1997, p. 8

La suite, demain. Remise de la somme amassée à Madame de Lorimier.

8 commentaires Publier un commentaire
  1. Patriote Jean #

    Acte de mariage du patriote Francois-Marie chevalier de Lorimier et d’Henriette Cadieux de Courville

    http://www.erudit.org/revue/haf/1968/v22/n1/302755ar.pdf

    Patriote Jean

    8 décembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Merci, Monsieur Jean, de nous mettre sur la piste de cette pièce d’archives.

    8 décembre 2012
  3. Patriote Jean #

    Les années sombres de la Veuve de Lorimier

    Des échos de la Rébellion de 1837-1838 ont hanté les murs de cette maison. C’est ici (l’Assomption) qu’Henriette Cadieux de Courville, veuve de Chevalier de Lorimier, et ses deux filles ont vécu difficilement le drame qui a secoué le pays et ruiné leur vie.

    En 1832, Henriette Cadieux épouse à Montréal le notaire François Marie Thomas Chevalier de Lorimier, natif de Saint-Cuthbert. Cinq ans plus tard, celui-ci quitte sa famille et abandonne sa clientèle pour prendre part à l’insurrection des Patriotes. Fait prisonnier par les Anglais en novembre 1838, il est condamné à mort et pendu le 15 février 1839, à Montréal, en même temps que ses compagnons d’infortune: Charles Hindelang, Amable Daunais, François Nicolas et Pierre-Rémi Narbonne.

    Réduite à la pauvreté, Henriette Cadieux se réfugie alors à L’Assomption, accompagnée de sa belle-sœur, Marguerite de Lorimier. Sur la rue Saint-Étienne, elle s’enferme dans son malheur en élevant ses deux filles, Léopoldine et Stéphanie, en retrait de toute société et des admirateurs de son mari.

    En 1883, un article du docteur Fortier dans La Tribune de Montréal dévoile le dénuement des héritiers de Lorimier et une souscription s’organise afin de leur venir en aide. Lorsd’une réception mémorable tenue à L’Assomption, le 15 juillet 1883, et à la suite d’une adresse émouvante d’Honoré Beaugrand, fondateur du journal La Patrie, on remet à la veuve les dons recueillis. Après quelques mots de reconnaissance ravivant le souvenir de son défunt mari, Henriette Cadieux s’évanouit devant la foule en émoi.

    Cette collecte de fonds permettra à la veuve de Lorimier et à ses filles de s’installer dans cette demeure aménagée en deux logements par le notaire Alcide Lesage, dont elles occuperont le logis attenant à la rue Saint-Jacques.

    Décédée en 1891, Henriette Cadieux est inhumée au cimetière de L’Assomption où une stèle, dressée près de la chapelle Bonsecours, rappelle son souvenir.

    http://www.ville.lassomption.qc.ca/documents/culture/panneau04.pdf

    Patriote Jean

    8 décembre 2012
  4. Jean Provencher #

    Merci, Monsieur Jean, de tous ces renseignements. Je me demandais justement où reposait Madame Cadieux.

    8 décembre 2012

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