Poèmes d’une écrivaine chinoise puisés dans un livre de paix (premier de deux billets)
L’écrivain, poète et calligraphe chinois, François Cheng, âgé de 90 ans, nous a offert en 1990, reparu en poche en 2002, un bien beau livre, Entre source et nuage, Voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui.
Il s’arrête ici à Ping Hsin, née en 1902. Au sujet de cette poétesse, il écrit : Continuant la tradition poétique chinoise, non sans avoir reçu l’influence de quelques poètes étrangers (Tagore, poètes japonais, etc.), elle excella à dire des choses profondes à travers des vers très simples. Aujourd’hui, sa poésie n’a rien perdu de sa fraîcheur et de son charme. Extraits.
Les myriades d’étoiles scintillent sur le bleu profond du ciel
Qui a jamais perçu ce qu’elles se disent ?
Au plus profond du silence, chacune de sa faible clarté
Rend à ses compagnes un secret hommage
Firmament
Ôte ton masque d’étoiles
Que je contemple ton vrai visage de lumière
Trop longtemps assis
Ouvre grand la fenêtre : la mer
Ta nostalgie infinie
Livre-la aux confins du ciel là où jusqu’à l’oubli s’étendent les vagues
Frêle sapin de la montagne laisse-moi encore t’accompagner un peu
Déjà les nuages blancs s’épaississent
Univers perdu dans la nuit —
De ma vie
J’ai oublié les premiers mots
Et n’en saurais jamais le dernier
Nouveau-né
Dans ses cris frémissants
Se cache une parole infiniment mystérieuse
Qui jaillit du plus profond de l’âme originelle
Voudrait se dire au monde
Le vécu d’un vieillard
Le rêvé d’un jeune homme participent d’une même vie — création de la pensée
La libellule s’envole insouciante et tu restes là — dernier lotus — sur ta tige tremblante
Toi qui fais voltiger toutes ces fleurs de neige, tu as pour moi ta douceur ô vent du nord
Le printemps n’a cure de crier sur les toits
Déjà
Sa puissance souterraine de sa douceur imprègne le monde entier
Fleur qui pousse dans les cailloux entre les rails
une seconde seulement
toi et moi
rencontre fortuite dans l’immensité de la vie
adieu à jamais dans l’immensité de cette vie
Même si je revenais
parmi tant d’autres entre les rails
comment te retrouverais-je
Humble fleur dressée au creux d’un mur
Ton bonheur d’être toi-même
Te suffit pour être au centre de l’univers
Herbes tendres au ras du sol
Soyez fières
Vous êtes les seules parures de la terre entière
Un coin de vieux mur
Le ciel bleu par-dessus
Espace ouvert à perte de vue, c’est cela le Paradis — sur terre
Pourquoi envoyer à la mort des millions de vies
les canons grondent sans fin
Dans la sombre nuit criblée de silences
ce papillon qui palpitait dans ma main
je l’ai relâché par la fenêtre
L’âme
Cette petite lueur
au cœur du silence flamboie
au cœur des villes s’efface
François Cheng, Entre source et nuage, Voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Éditions Albin Michel, 2002, p. 170-174.