Des nouvelles de mes amphibiens
Avec la journée magnifique, mes amphibiens se portent à merveille dans leur fossé. Se libérant dans un bouillon le 12 mai, les voici aujourd’hui têtards, appréciant la nage. Manifestement, tout leur va.
Je cours à mes livres pour connaître ce qu’ils vivent en ce moment. Francis R. Cook, dans son Introduction aux Amphibiens et Reptiles du Canada (Musée national des sciences naturelles, Musée nationaux du Canada, 1984), nous dit simplement : Ils vivent dans l’eau jusqu’à ce que leurs poumons se développent pour leur permettre de respirer l’air. Voilà qui est bien court. On trouve assurément davantage sur la Toile. Sans doute qu’ils mettent aussi ce temps à voir leurs pattes se développer, pour sortir de l’eau un jour, comme nos bien vieux grands-parents.
Dans Inconnus et méconnus (Société zoologique de Québec, 1950), le naturaliste Claude Mélançon, lui, est plus bavard, heureusement. Les têtards apprennent à se déplacer en manœuvrant leur queue comme une godille, dit-il, cet aviron à l’arrière d’une embarcation. Au bout de deux ou trois jours, voilà des yeux et une bouche rondelette, garnie d’un minuscule bec corné, avec laquelle il grignote des particules végétales.
Le têtard mène une vie active, vorace et périlleuse. Il mange, fuit et se cache. La vase du fond et le labyrinthe des herbes aquatiques sont ses retraites favorites. Il s’y réfugie souvent, car ses ennemis sont partout et nombreux. […] Et comme principal moyen de défense il n’a que sa queue à l’aide de laquelle il se dérobe et crée, en agitant la vase du fond, un écran protecteur. Elle est si nécessaire à sa vie qu’elle repousse après une amputation partielle et même totale.
Et voici maintenant ce qui attend mes têtards, mes queues-de-poêlon. Bientôt apparaissent, à la base de sa queue, deux petites bosses qui se développent, s’allongent et deviennent des pattes terminées par cinq doigts palmés d’inégale longueur. Puis un bras et une main à quatre doigts, dont un pouce, sortent par le spiculum, l’ouverture latérale dans la tête où s’écoulait l’eau avalée pour baigner les branchies. Quelques heures plus tard, c’est le tour du bras droit, formé lui aussi dans une cavité branchiale. Il sort en crevant la peau qui se cicatrisera autour. […] À mesure que ses poumons se développent, on le voit monter de plus en plus fréquemment à la surface et y cueillir une bulle d’air. D’ailleurs, à bien regarder l’image ci-haut, on voit que l’un d’entre eux, au ventre gris, est à cueillir une bulle d’air. Gamin !
Le temps que la langue se forme, qu’une paupière vienne protéger ses yeux nouveaux et saillants, que sa queue tombe, que sa peau s’endurcisse, le voilà prêt pour le vaste monde terrestre. Il est donc alors en état de voir du pays. Comme nous, comme nos grands-parents.
Allez, têtards, gagnez bientôt votre libération !
À la suite de la découverte de votre article, jamais je n’ai été plus fière d’être surnommée « frog » par nos voisins anglophones.
Mais, pourriez-vous m’apprendre, ami historien, l’origine de ce surnom ?
Nos ancêtres se régalaient-ils de cuisses de grenouilles ?
Amitiées
Élisabeth
D’abord, chère Éli, il me faut vous dire que, lorsqu’on parle de cuisses de grenouilles, il s’agit de celles du Ouaouaron (Rana catesbeiana, Bullfrog), le géant non seulement des grenouilles canadiennes, mais de toutes les grenouilles d’Amérique du Nord. Je ne crois vraiment pas que mon humble fossé ait déjà hébergé des ouaouarons. Francis R. Cook affirme qu’il habite généralement les eaux permanentes des baies de rivières, des lacs et de grands étangs.
Dans leur ouvrage Goûter à l’histoire, Les origines de la gastronomie québécoise (Environnement Canada, Service canadien des parcs, Éditions de la Chenelière, 1989), les historiens Marc Lafrance et Yvon Desloges disent que les premiers Français arrivés au pays sont surpris de la grosseur des oüarons, grenouilles qui meuglent comme un bœuf, et que les Amérindiens mangent et trouvent fort bonnes. D’ailleurs, déjà, en France, on appréciait les cuisses de grenouille, mais sans doute pas celles de notre ouaouaron, inexistant là-bas. Les deux historiens mentionnent une aversion toute britannique pour les cuisses de grenouilles, et ajoutent qu’à Montréal, en 1886, on les mange au Grand Café Parisien de Louis Goudreau, rue Sainte-Catherine, apprêtées d’après la méthode du Grand Vatel à Paris.
Pour ma part, dans mes recherches sur la vie en ville en 1900, je ne trouve rien sur la consommation de cuisses de grenouilles, sauf ce passage du journal Le Soleil, de Québec, du 7 avril 1900, qui va ainsi Nous voici avec une nouvelle industrie. M. Jean Jolicœur vient d’obtenir un contrat pour approvisionner New-York et Boston d’autant de grenouilles qu’il pourra recueillir. C’est, paraît-il, devenu un mets très recherché par des gourmets.
Voilà, chère Éli. Pour le surnom de Frog que certains anglophones du Canada continuent de nous donner, j’ignore d’où et de qui il origine. Autant lancer un appel à tous, ne croyez-vous pas ?
Jean
Merci beaucoup !
God save the frogs !