Pourquoi donc le jour commence-t-il à minuit ?
Le soir, avant d’aller au lit, je programme mon article du lendemain pour qu’il paraisse à minuit et une. C’est que je me suis rendu compte à l’usage que de 40 à 50 visiteurs européens ou maghrébins visitent ce site interactif avant notre réveil ici, au Québec. Sans compter les quelques insomniaques pour qui la fréquentation d’internet se fait la nuit. Voilà pourquoi, pour moi, le jour commence à minuit.
Mais, autrement, qu’en est-il ? L’Album universel du 18 avril 1903 pose la question. Et y va de la réponse suivante.
Dès qu’on a eu l’idée de compter les jours, et cette idée remonte certainement aux premiers temps du développement de l’intelligence humaine, on en a fixé le commencement soit au coucher, soit au lever du soleil, car ces deux phénomènes étaient faciles à observer. Les Chinois, les Athéniens, les Musulmans fixaient le commencement du jour au coucher du soleil; les Babyloniens, les Syriens, les Perses, à son lever.
Il fallait être astronome, tel Ptolémée, pour fixer le commencement du jour à midi, c’est-à-dire à un moment très précis, il est vrai, mais que la plupart des mortels sont incapables de trouver.
Minuit ne correspond à aucun fait visible, mais tient à peu près le milieu entre l’heure du coucher et celle du lever du soleil. Il est probable que les incursions des peuples ont amené en présence, dans un même pays, l’usage de faire commencer le jour le soir et de le faire commencer le matin, et que minuit fut adopté par une sorte de transaction entre les deux usages pour éviter les erreurs résultant de leur application simultanée.
L’«Encyclopédie» de Diderot et d’Alembert dit, notamment : «C’était à minuit que les anciens Égyptiens commençaient le jour, et même le fameux Hipparque avait introduit dans l’astronomie cette manière de compter, en quoi il a été suivi par Copernic et par plusieurs autres astronomes; mais la plus grande partie des astronomes modernes a trouvé plus commode de commencer à midi. Les Romains commençaient le jour à minuit.»
Plutarque, dans les «Questions romaines», dit : «C’est au milieu de la nuit que le jour doit être censé commencer, puisque c’est à cette époque que le soleil commence à se rapprocher de notre hémisphère; au lieu qu’à dater de midi, il s’en éloigne de plus en plus.»
On ne saurait dire dans quel pays ni à quelle date précise s’est établi l’usage de faire commencer le jour à minuit. Mais, quant à la cause de cette coutume, qui se perd dans les profondeurs des âges, elle est facile à deviner. Les aspects variés des phases de la lune font de cet astre un mesureur très commode du temps. Aussi, dès la plus haute antiquité, le trouve-t-on utilisé dans ce but par tous les peuples.
Le mois a donc été tout d’abord «lunaire», et le jour, par une conséquence logique, s’est compté d’un soir à l’autre. C’est à ce système que se réfère, par exemple, la formule chronologique de la Genèse : «Il fut soir, il fut matin : un jour.»
Mais ce jour, qui commence le soir, présente un moment unique et bien caractérisé : c’est celui où a lieu le passage du soleil au zénith. Cet instant significatif, où le soleil semble atteindre son maximum d’intensité lumineuse et calorifique, s’est trouvé par là même considéré comme le point capital du jour, son «milieu», ainsi que l’indique son nom dans diverses langues : «mi-di», latin «meridies», grec «més-êmbria», etc., (équivalents de «media dies», «mésé hêméra»). Dès lors que cet instant fut regardé comme devant être le milieu de la journée de vingt-quatre heures, il en résulta forcément que celle-ci eut son point de départ fixé «douze heures avant midi», c’est-à-dire «à minuit».
Une question me taraude: Plutarque est né avant Jésus-Christ; comment pouvait-il parler d’Hémisphère? S’agit-il d’un autre Plutarque? Où plutôt une mauvaise citation du journaliste de l’époque…Y’a de ces détails qui parfois nous turlupinent!
Tu es perspicace en diable, cher Pierre. Bravo ! Je crois plus à une erreur, une «mauvaise citation». Je me rends compte fréquemment qu’il faut être fort prudent face aux écrits de 1900 lorsqu’on remonte dans le passé. Et ce texte, non signé comme souvent, est sans doute arrivé d’Europe par télégraphe et l’hebdomadaire québécois l’a pris pour parole d’Évangile, l’a repris sans le critiquer.
Le texte de Pétrarque est disponible en ligne dans une traduction française de Dominique Ricard: http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/questionsromaines.htm
La question 84 s’intitule «Pourquoi fixent-ils le commencement du jour à minuit?»
Le concept d’hémisphères dans cette citation de Plutarque ne réfère pas aux deux moitiés (boréale et australe) de la terre, mais au ciel diurne versus le ciel nocturne.
Le passage en question se lit comme suit dans la traduction de Ricard:
«…il reste d’en fixer le commencement [du jour] à l’instant où le soleil occupe le milieu du ciel, ou bien à l’instant opposé. Mais le second point est préférable, parce que de midi à son coucher, il s’éloigne de nous, au lieu qu’il s’en rapproche de minuit à son lever.»
Wow ! Voilà donc l’explication, bien claire. Merci, cher Pierre. Internet n’a vraiment pas de secrets pour toi !
Voilà! EH bien merci M.Morisset d’éclairer ma lanterne et de me permettre ainsi une nuit sans questionnement existentiel alors que le soleil sera dans l’autre hémisphère céleste!