Louis-Joseph Doucet s’adressant à la lune
Vous connaissez ce conteur et poète. Je vous en parlais hier. Il mériterait tant d’être davantage connu, Il devrait avoir son anthologie, il est vraiment du « pays ».
Le voici causant à la lune.
Ah ! tu me regardes encore ;
Vieille face jaune des nuits !
Et de ta corniche redores,
Froidement mes rêveurs ennuis !
Toi qui fus jadis mon amante,
Au temps des amours superflus,
Tu demeures la plus constant
Parmi les âmes qui m’ont plu.
Avec ces âmes exilées
Tu t’en vas, errante toujours,
Sur quelque nue échevelée
À qui tu redis tes amours.
Tous les soirs, d’un coin de ma chambre,
Je te souris quand tu parais.
Vieille tête de cuivre et d’ambre,
Vieille qui ne vieillis jamais.
Tu vas de mansarde en mansarde,
Semant tes placides rayons,
Partout enfin où tu regardes,
Sur la soierie et les haillons.
Ne serais-tu pas le symbole
Du mystère de nos regrets ?
Tu ris et n’as point de parole.
Tu vois et gardes tes secrets.
De tes immenses altitudes,
Vers qui monte la voix des soirs,
N’entends-tu pas les grands préludes
De nos remords, de nos espoirs !
De nos espoirs vers cette voûte
Où tu règnes avec les vents ;
De nos remords et de nos doutes
Qui s’amoncellent, décevants ?
Ton imbécilité narquoise
A quelque chose de profond,
Lorsque tu souffres qu’on te toise,
Comme une mouche, à ton plafond.
Moi je te félicite, en somme,
D’assister nos nuits sans mépris :
Tu vaux toujours plus que les hommes,
Lune, de tes bords incompris.
Enfin tu formes bien des causes ;
Ton rôle n’est pas trop banal ;
Ta fin sera la fin des choses,
Vieille relique, vieux fanal !
Louis-Joseph Doucet, La chanson du passant, Poésies canadiennes, Québec, 142, rue des Stigmates [ancien nom de la rue des Franciscains, dans le quartier Montcalm], 1915, 2ième édition, p. 51-53.