Retour sur le poète romain Lucrèce (-94 à -54 av. J.-C.)
Il y a cinq jours, j’évoquais la parution d’une nouvelle édition de son seul ouvrage, De la nature. J’écrivais que cette publication est enfin l’édition par excellence de ce livre de sagesse. J’en citais quelques extraits. Suite.
Page 87s., selon Lucrèce, la nature dispose d’un puissant principe de vie qui relie toutes les transformations. On peut voir des vers vivants sortir de la frange infecte quand, à la suite de pluies excessives, la terre détrempée se décompose ; et du reste tous les corps se transforment de la même manière. Les fleuves, les frondaisons, les gras pâturages se transforment en troupeaux, les troupeaux se transforment en corps humains, et notre corps à son tour s’en va accroître les forces des bêtes sauvages et les corps des oiseaux aux ailes puissantes. Ainsi la nature convertit en corps vivants toute espèce de nourriture.
Page 92, l’auteur affirme que nous venons tous du ciel. Nous sommes tous issus d’une semence venue du ciel : l’éther est notre Père commun ; c’est de lui que la terre, notre Mère et notre nourrice, reçoit les gouttes claires de la pluie fécondantes, c’est ainsi qu’elle enfante les riantes moissons, les arbres vigoureux, qu’elle enfante le genre humain et toutes les espèces sauvages ; puisqu’à tous elle fournit les aliments qui leur permettent de se nourrir, de mener une douce existence et de propager leur espèce ; aussi mérite-t-elle le nom de Mère qu’elle a reçu.
Selon lui, il y a de la vie ailleurs que sur terre. Page 95 : Je le répète encore, il te faut avouer qu’il existe ailleurs d’autres groupements de matière analogues à ce qu’est notre monde que dans une étreinte jalouse l’éther tient enlacé.
Page 96. La nature est autonome, tout se passe sans l’intervention des dieux. Ces vérités connues et bien en ta possession, aussitôt la nature t’apparaît libre, exempte de maîtres orgueilleux, accomplir tout d’elle-même, spontanément et sans contrainte, sans la participation des dieux.
Pages 154s. Le discours de Lucrèce sur les nuages est fort poétique. Il est d’autres images, engendrées spontanément, qui se constituent d’elles-mêmes dans cette région du ciel qu’on nomme atmosphère. Formées de mille manières, elles s’élèvent dans les hauteurs, et ne cessent dans leur course de se fondre et de se transformer, et de prendre les aspects les plus divers : tels les nuages que nous voyons parfois se rassembler dans les hauteurs et qui, caressant l’air de leur vol, violent la sérénité du ciel. Souvent alors il nous semble voir voler des faces de géants qui répandent au loin leur ombre, ou encore s’avancer de hautes montagnes, entraînant des roches arrachées à leurs flancs et dont la marche masque le soleil : puis c’est quelque autre figure bizarre qui attire à elles d’autres nuages pour s’en affubler.
Pages 210s. Pour le poète romain, l’univers est mortel, comme les parties qui le composent. Tout d’abord, puisque la matière de la terre, et l’eau, et les souffles légers, des vents, et les vapeurs brûlantes du feu, dont la réunion constitue notre univers, sont tous formés d’une matière sujette à la naissance et à la mort, il faut bien penser qu’il en est de même de l’ensemble du monde. En effet, tout composé dont nous voyons les parties et les membres formés d’une substance sujette à naître et d’éléments mortels nous apparaît également soumis aux lois de la naissance et de la mort. Aussi, lorsque considérant les membres gigantesques et les parties de ce monde, je les vois mourir et renaître, je ne puis douter que le ciel et la terre n’aient eu également leur première heure et ne doivent succomber un jour. […] chaque corps que la terre nourrit et fait croître, lui fait retour pour la part qu’il a reçue.
Page 244. Pour Lucrèce, le langage humain est venu des sons. Si la variété des sensations peut amener les animaux, tout muets qu’ils sont, à émettre des sons divers, combien n’est-il pas plus naturel que les hommes d’alors aient pu désigner les différents objets par des sons différents. Et la note de bas de page de rajouter : Pour Lucrèce, l’origine du langage est purement naturelle, en continuité avec les cris des animaux. C’est l’organe qui crée l’usage.
Lucrèce, De la nature, Texte traduit et annoté par Alfred Ernout, Notes complémentaires par Élisabeth de Fontenay, Illustrations par Scott Pennor’s, Paris, Les Belles Lettres, 2019, 319 pages.