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Personne ne pourrait nous enlever les souvenirs de nos étés d’enfance

Et ils seraient souvent originaux, sans doute. Nous nous réunirions quelque part qu’il faudrait des heures pour permettre à chacune-chacun de nous confier ses étés. Imaginons une pareille rencontre.

L’écrivaine Michelle Le Normand, elle, s’est arrêtée aux siens à L’Assomption au début du 20e siècle. Elle raconte, par exemple, la joie qu’ils avaient, enfants, de faire courir leurs cerceaux dans ce village de Lanaudière. Extraits.

Les bonnes femmes du village tricotaient, assises sur leurs perrons, ou sur leurs chaises au bord de la rue, les pieds sur le trottoir. Elles causaient avec leurs hommes, ou entre elles, ou avec les passants : « Eh bien, monsieur Baptiste, une bonne journée ? Le foin est beau ? »

Et soudainement arrivaient, au coin de la rue, petites filles et garçons à la douzaine, roulant leurs cerceaux de fer, qui dansaient sur les planches inégales du trottoir. Le soir qui venait, calme et lent, était un instant troublé par cette troupe « à l’épouvante » qui passait en lançant des hourrahs et bravades aux bonnes femmes qui disaient : « Oh ! les petits bonjours, qu’ils en font du train. Et regardez-moi toutes ces petites garçonnières. »

Mais les cerceaux couraient toujours. Par moment ils zigzaguaient, tombaient ; relevés prestement, ils recommençaient à rouler, en hésitant d’abord, penchant d’un côté, de l’autre, puis, comme s’ils eussent suivi une lice, ils filaient tout droit, en parfait équilibre. Un clou, qui sortait du trottoir, les faisait dévier de nouveau ; ils sautaient brusquement, échappaient à leurs conducteurs et traversaient en biais la petite rue de sable. On les rejoignait. Ils repartaient, dociles à la baguette de bois qui les guidait. […]

Nous descendions la côte en face du couvent. C’était extrêmement agréable. Les cerceaux devenaient des balles : ils bondissaient, prenaient une allure plus vive, et l’on courait à perdre haleine pour les suivre ! On ne voyait plus rien que le cercle qui roulait, roulait, et arrivait souvent dans les jambes d’une passante qui allait à l’église ou en revenant.

Alors, on se faisait secouer un peu rudement par le bras ; on prenait des visages contrits et … souriants. « Excusez-nous, madame, on l’a pas fait exprès. » La madame partie, on éclatait de rire.

Et l’on repartait au galop, repassant par les mêmes petites rues, où les bonnes femmes causaient maintenant sans tricoter, le soleil ayant dit « bonsoir ». […] On courait plus vite, en voyant de loin la haute clôture brune de la cour de chez nous, et les cerceaux arrivaient les premiers, pêle-mêle, se frappant dans le parterre. Ils roulaient sur l’herbe, en se balançant et allaient tomber un peu partout comme fatigués d’avoir tant tourné !

On se précipitait dans le hamac. Les garçons se mettaient à cheval sur le bras de la galerie, et essoufflés, l’on se reposait en regardant au ciel s’allumer les étoiles.

Au bout d’un temps, on chantait « Malbrough », en chœur ; ensuite on improvisait des couplets fous sur des airs faux — et l’on riait, on riait encore jusqu’au coucher.

 

Michelle Le Normand, Autour de la maison, Montréal et Paris, Éditions Fides, 1944, p. 27-29.

Michelle Le Normand (1893-1964), née Marie-Antoinette Tardif, romancière, nouvelliste et essayiste, épouse de Léo-Paul Desrosiers (1896-1967), écrivain, historien et journaliste, a connu un grand succès avec cet ouvrage publié d’abord en 1916 et couronné par l’Académie française.

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