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Malbrough

Coudon, je me demandais, est-ce que la chanson Malbrough s’en va-t-en guerre vous dit quelque chose ? Celle-ci remonte bien loin. L’historien Benjamin Sulte en fait l’histoire dans Le Monde illustré du 3 novembre 1894.

Pour vous parler de Mironton, j’entonne la chanson de Malbrouk [Sulte l’appelle ainsi].

Vous savez tous quel personnage c’était que John Churchill, duc de Marlborough, courtisan dans l’âme, ambitieux outré, intrigant et perfide à l’excès, qui sortit de rien, monta au sommet de l’échelle sociale, tomba de son haut, reprit l’ascendant, gagna des batailles et mourut dans la disgrâce. Il était appelé le bel Anglais. Sa femme lui ressemblait par la beauté du corps, la souplesse de son esprit, sa cupidité, sa rage de parvenir par tous les moyens, et le ton dominateur qui finit par causer sa chute.

Il y a bien là de quoi faire une chanson, n’est-ce pas.

Le loustic qui a imaginé la célèbre complainte de Malbrouk s’est inspiré de la fausse nouvelle qui courut en 1709, immédiatement après la bataille de Malplaquet, que le duc de Marlborough était mort et, sans aucunement se gêner, il a imité le Convoi du duc de Guise, que tout le monde paraissait avoir oublié. Il va jusqu’à copier certaines strophes mot pour mot.

De 1709 à 1781, les Français ne prêtèrent pas la moindre attention à Malbrouk s’en va-t-en guerre, mais après la naissance du dauphin de France, il se trouva que la nourrice qu’on lui avait donnée connaissait quelques chansons de sa province, et Marie-Antoinette se plaisait à les lui faire interpréter. De ce nombre, était Malbrouk, que la reine mis en vogue à la cour.

La Révolution passa bientôt après, sans trop nuire à la chanson, et quand vint le Consulat elle servit à faire dépiter les Anglais.

Madame Poitrine, la nourrice du dauphin, se servait du texte suivant, qui doit différer quelque peu de la composition originale, mais il a été impossible, jusqu’à présent, de retrouver celle-ci. Donnons-la telle que les familiers de l’Œil de Bœuf la chantaient :

[Et suivent les paroles que nous lisons ci-haut dans l’illustration.]

Par endroits, c’est une copie du Convoi du duc de Guise, lequel remonte à 1563*; on y retrouve tous les mots saillants du Convoi et jusqu’à deux lignes trop risquées que je laisse où elles sont,

Sur la plus haute branche
Le rossignol chanta.

ne se rencontre point dans le Convoi. Ces deux vers appartiennent également à la Claire Fontaine.

L’air a été noté par Marie-Antoinette, d’après le chant de Mme Poitrine, et doit être, à peu de chose près, celui du Convoi du duc de Guise, puisque les vers sont de la même coupe dans les deux cas. Cette mélodie ressemble à

For he is a jolly good fellow,
Which nobody can deny.

Nous la chantons sous cette forme :

On vit voler son âme
Mironton, mironton, mirontaine,
On vit voler son âme
À travers les lauriers (ter)

Il y a trente-six ans, le commandant Pierre Fortin, de joyeuse mémoire, nous apporta de France un air qui s’ajustait sur ces paroles et dont le refrain disait :

Courez, courez, courez,
Petite filles
Jeunes, gentilles,
Courez, courez, courez,
Venez ce soir vous amuser.

C’est loin d’avoir la valeur de Mironton, mirontaine, car ces deux dernières expressions, intercalées au milieu du couplet, transforment en risée l’allure quasi militaire de la chanson, tandis que courez et petites filles sont hors de place dans le tableau du Convoi de l’invincible Marlborough.

Maintenant, où le chansonnier de 1563 avait-il pris l’idée de sa composition ? Dans vingt autres, dont l’une date du temps des croisades** et plusieurs autres de l’ancienne Grèce. Le fait est que les peuples battus à la guerre ont tous célébré dans des vers humoristiques le Convoi et la mort du capitaine qui leur avait taillé des croupières.

Le convoi et la mort indique un renversement des choses naturelles. C’est déjà de la gaieté, consolation des vaincus. La mort et le convoi serait trop ordinaire.

Un soir que [Antoine] Gérin-Lajoie*** chantait Malbrouk pour endormir son fils Henri, l’enfant ouvrit les yeux et demanda :

— Malbrouk, il est donc mort ?
— Oui, il y a longtemps. Je pensais que tu dormais…
— Papa, sais-tu si Mironton est mort lui aussi ?

 

* Vingt ans après l’épisode de Jacques Cartier-François de Roberval à Cap-Rouge.

** L’époque des Croisades remonte à la période 1095-1291.

*** Le compositeur de la fort belle chanson Un Canadien errant.

L’image coiffant cet article provient de La Bonne Chanson, dix albums qu’on appelait Cahiers, parus de 1938 à 1951, du musicologue Charles-Émile Gadbois (1906-1981). Elle apparaît dans la série de manuels Chantons la bonne chanson à l’école, 1957, Première, deuxième et troisième années, faisant partie du programme officiel du cours primaire, manuels approuvés par le Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Sandrina Henneghien #

    Qu’est-ce qu’on a chanté cette chanson quand nous étions petits, dans la voiture avec mon père ! À l’école aussi, mais ma maîtresse de 1ère année était bien âgée.

    16 décembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Que j’aime votre commentaire, chère Vous ! C’est tellement sympa !

    16 décembre 2012

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