Brève histoire de Saint-Pierre et Miquelon
Le texte est d’Antoine Mathivet et paraît dans le quotidien montréalais La Patrie du 8 août 1896. Ce propos serait extrait d’une publication qui aurait pour nom Signal. Hommage à Vous de Saint-Pierre et Miquelon.
Après la guerre de Sept-Ans, le traité de Paris [1763] nous donnait ces deux petites îles perdues dans la brume glacée que nos marins devaient assigner désormais pour but à leurs campagnes de pêches annuelles. Les Français de l’Acadie, sauvagement expulsés, allaient en partie s’établir sur ces rivages perdus. Ils en étaient chassés vingt après, et il fallait la paix de Versailles pour les y ramener sur les vaisseaux du roi. À la Révolution, nouvel exil. Ce n’est qu’en 1816, que la France a retrouvé Saint-Pierre et Miquelon et que ses pêcheurs en ont repris le chemin.
À vrai dire, ce n’est pas ici une colonie au sens classique du mot, mais une dépendance lointaine des côtes de l’Océan de la France maritime, quelque chose comme un faubourg de Saint-Malo. Basques, Bretons, Normands, Flamands se rencontrent, l’hiver fini, autour des bancs où ils vont pêcher la morue, à huit cents lieues de mer !
La campagne de pêche s‘ouvre le premier avril pour se clore au premier octobre. Cinq mois durant, toute la belle saison en ces lointains parages, les bateaux vont, viennent et s’emplissent de poisson. Parfois, tandis que le petit bateau séjourne sur le banc de sable sous-marin où la morue afflue, survient dans la brume un paquebot à vapeur qui brise le frêle esquif comme une paille et continue sa route… Les pauvres marins ne reverront plus leur famille… On a dû imposer un changement d’itinéraire à la Compagnie générale transatlantique qui, par économie, se rapprochait toujours dans ses voyages du banc de Terre-Neuve, au risque de causer la ruine et la mort de beaucoup de braves gens.
Sait-on ce que peut rapporter à chaque homme sa campagne de pêche en moyenne ? Huit cents à mille francs, au plus ! Pour ce maigre salaire, le marin s’expose à mille dangers, à des fatigues sans nombre. Dure vie, qui a sa poésie et sa beauté. De loin, on oublie la peine et le péril dont elle est faite, pour ne songer qu’aux émotions du départ et à celles du retour. Souvent, la séparation est éternelle.
C’est une école de héros que cette campagne de Terre-Neuve ou d’Islande. Saisi par l’inscription maritime, le rude pêcheur servira à bord des vaisseaux de la flotte. Il sera, le cas échéant, le marin du «Vengeur», à qui toute crainte est inconnue, la bravoure et la discipline incarnées, sauf à redevenir à terre la mathurin, incompressible dans la bordée joyeuse qui ne finit pas toujours très bien !
C’est parce que la marine de la République se recrute parmi les pêcheurs que le gouvernement intervient pour réglementer la pêche, la protéger de toutes les façons. Dans la plupart de nos colonies, la morue joue un grand rôle au point de vue de l’alimentation populaire. Elle est cependant assujettie à des droits de douane assez élevés qui ont pour objet d’assurer aux pêcheurs français le monopole de leur pénible industrie. La morue étrangère n’entre pas. Avec cela, il y a toujours une question diplomatique pendante. Les droits de pêche s’étendent encore sur la côte de Terre-Neuve, sur ce qu’on appelle le Rivage français, aux termes du traité de Versailles, et le traité de Paris, en 1814, les a confirmés. […]
Saint-Pierre n’a pas deux lieues de long et n’a guère plus d’une lieue de large; Miquelon est plus grande; avec Langlade, l’Île-aux-Chiens, le Grand et le Petit-Colombier, l’Île-aux-Vainqueurs, l’Île Massacre, l’Île-aux-Moules, elles forment un archipel minuscule.
Saint-Pierre est très jolie avec sa rade pleine de navires, dans la saison de la pêche. On dirait Fécamp et Dieppe. Dans les rues passent les marins, le visage hâlé, d’un rouge brique, déambulant du pas caractéristique des gens accoutumés aux planches mobiles. Saint-Pierre est tout entière aux pêcheurs et aux négociants. […]
Le jardin de la colonie, c’est Langlade avec ses petites collines couvertes de bois, ses prairies où s’engraissent les bœufs, et ses champs de fraises parfumées. C’est là toute l’agriculture. J’allais oublier le spruce, une sorte de pin avec le feuillage duquel on fait la sipinette, une bière très hygiénique, un peu âpre, qui se boit à Terre-Neuve et sur les navires ! […]
Y a-t-il un lien entre la sipinette et la bière d’épinette, sans alcool, fabriquée par les Abénakis d’Odanak et de Wolinak, les Amérindiens habitant sur le bord du lac Saint-Pierre et de la rivière Bécancour, au Québec ?