Skip to content

«Une nuit d’été»

une nuit dete insectes

L’entomologiste français Henry Gobin signe, dans L’Opinion publique (Montréal) du 23 août 1883, un article sur les insectes nocturnes et crépusculaires.

Les grandes herbes de la prairie courbées par la chaleur de midi se redressent. Le peuple des chanteurs criards, sauterelles et grillons, a donné son dernier coup d’archet [Attention, le texte est français; au Québec, en août, sauterelles et grillons continuent de chanter la nuit] et s’est caché dans ses introuvables retraites. Plus de papillons aux couleurs éclatantes, plus de brillants scarabées au vol agile !

«C’est l’heure où les ailes sortent», comme dit le grand Théophile.

C’est le crépuscule aux lueurs douteuses dans lesquelles se meuvent les formes indécises aux contours mollement effilochées : la chauve-souris au tourbillonnement saccadé et la chouette, le chat-huant et l’orfraie dont le vol mystérieux vous effleure et que l’on sent passer sans les apercevoir.

Le bourdonnement de quelque gros scarabée raye encore de temps en temps le silence et, dans l’ombre, les lourds papillons nocturnes qui sont restés tout le jour collés à l’écorce des arbres, commencent à s’émouvoir.

Voici la nuit ! «La nuit noire» et, sous les rayons de la lune, la surface blanchissante de la prairie s’anime d’un mouvement doux et plein de mystère.

Les sphinx volent partout, effleurant toutes les corolles, et le battement de leurs grandes ailes fait fuir le menu fretin de rôdeurs nocturnes.

Le sphinx Atropos, s’il s’attarde trop, sera, demain matin, la terreur du paysan qui le trouvera dans son «en dain» [sic] en fauchant l’herbe. Il considérera avec effroi la tête de mort empreinte sur son corsage de velours brun et se demandera, rêveur, quel malheur lui présage sa lugubre trouvaille ?

L’artiste qui aura mis la main sur le sphinx du troène admirera, lui, l’adorable caprice de l’universel dessinateur qui, avec quelques lignes noires et grises, compose une parure aussi brillante de détails qu’harmonieuse d’ensemble.

Et tout cela se meut autour du phare qu’une ver luisant aussi amoureuse que l’antique Héro allume pour guider vers elle un Léandre d’autant plus facile à attirer qu’il a des ailes.

Voilà ce que voient parfois les gens qui vont rêver la nuit, à travers la campagne, en philosophant. Car, de quelque argile qu’on soit pétri, il est impossible de regarder à la loupe un atome, si petit fût-il, de la création, sans se sentir immédiatement envahi par un tourbillonnement de déductions, de rapprochements, de comparaisons qui soulèvent un coin du voile de l’avenir de l’humanité, et Dieu sait, depuis une heure, à combien de sollicitations de ce genre j’ai résisté et de combien s’absurdités j’ai privé mes lecteurs.

H. Gobin.

 

L’illustration accompagne le billet d’Henry Gobin dans L’Opinion publique.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS