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Vive les tempêtes !

Depuis le temps que je voulais échapper ce texte-ci sur ce site ! Voilà, le jour s’y prête ! Une tempête digne de celles que ce coin de la Planète, notre joyau, peut nous en proposer. Et ce texte digne d’apparaître dans une anthologie sur les tempêtes sur Terre.

Le 23 novembre 1974, il tombe une bonne tempête au Québec, au point où, le lendemain, le quotidien montréalais Le Jour sent le besoin d’une petite note à la une, note qui dit « C’est avec une équipe réduite tant à la rédaction qu’à l’atelier de composition que LE JOUR a été «pondu» hier soir. C’est donc un «journal de tempête» que vous lisez ce matin, c’est-à-dire un produit fait un peu avec des moyens de fortune. Il faut le lire avec un peu d’indulgence en se disant que demain… »

Et, toujours à la une, voilà ce billet du journaliste Roch Côté intitulé Vive les tempêtes !

Merci, mon Dieu, pour les tempêtes. Si on ne les avait pas, il y a un tas de choses dont on ne se rendrait jamais compte. Comme par exemple, que tout peut s’arrêter, qu’on peut être «prisonnier» de la tempête et que ce n’est finalement pas plus catastrophique que d’être prisonnier d’un soleil qui vous empêche de travailler comme des fous.

Les tempêtes, c’est notre soleil à nous. Il devrait y en avoir plus souvent. On se lèverait le matin en disant «tiens, il fait encore tempête«, comme ailleurs, plus au sud, d’autres disent «tiens, il fait encore trop beau pour travailler».

Quand il fait tempête, on ferme tout et on n’en meurt pas. Il pourrait faire tempête trois jours, on resterait chez soi avec ses petites choses, ses livres, sa musique, son bricolage, et tout le temps qu’il faut pour rêver à son soûl. Et ça ne serait pas la fin du monde. Parce que le monde, finalement, il peut tourner sans que chaque jour les petites secrétaires aillent systématiquement s’ennuyer dans le bureau des autres. Les tempêtes, ça donne des idées. Pourquoi faut-il tant travailler ? Si un beau jour, on arrêtait pour un bon bout de temps, quelque chose comme une tempête de plusieurs mois, qu’on vivait un peu de nos réserves, du travail qui s’est accumulé durant tant de siècles ? Tous ces gens avant nous qui ont travaillé comme des fous à ouvrir des mines, faire des canaux, des routes, des champs, des maisons, ils se disaient peut-être que plus tard, d’autres profiteraient de tout ça et pourraient vivre en travaillant moins. Est-ce que ce temps-là est arrivé ? Quand il fait tempête, j’y pense…

Je pense aussi que s’il faisait tempête un peu plus souvent, on vivrait moins comme des légumes motorisés. Pour venir au journal (l’appel du travail, vous voyez bien, c’est une drogue) j’ai fait un bon bout à pieds et pour la première fois depuis plusieurs mois j’ai senti dans mes jambes, mes poumons, mes mains nues, le monde qui m’entoure, le monde physique du vent et de la neige, de la distance et du froid.

Hier, Antoine [Désilets], le gars à la caméra, a laissé sa bagnole n’importe où, il s’est servi de ses jambes et il fait une couple de milles pour venir nous porter ses photos. Il est entré au journal avec une belle face de tempête, rougie par le vent et la neige. Dans le fond, il devait être heureux. Heureux comme les enfants quand il fait tempête. Tous les enfants aiment les tempêtes. Ils ne parlent jamais d’aller passer l’hiver à Miami. Ils s’ennuieraient trop des tempêtes, les enfants. Miami, c’est pour les grandes personnes. C’est ennuyant.

 

L’illustration est une huile sur toile du peintre, photographe et professeur d’art William Raphael, Avant la tempête. Collection du Musée du Québec, cote A-52-2-P. Photographie de L. Chartier.

9 commentaires Publier un commentaire
  1. Merci! Un beau texte. Je suis moi-même tout pris à faire un peu de tout, sans importance et avec plaisir. Tout semble fermé. Je suis ouvert au temps. Vive la tempête!

    27 décembre 2012
  2. Jean Provencher #

    C’est vrai lorsqu’on y pense. Quel temps magnifique pour vivre quasi en dilettante ! Ici aussi, la vie s’est arrêtée, sauf pour les automobilistes qui tempêtent !

    27 décembre 2012
  3. Murielle Roy #

    c est tempete aujourd hui et mon seul regret est de ne pas le passer a la campagne
    mais malgré cela juste pelleter et regarder autour de moi je me suis sentie redevenir une petite fille des années 50.
    Merci pour vos textes que de souvenirs vous nous faites revenir a la surface

    27 décembre 2012
  4. Jean Provencher #

    Merci tant, chère Vous. Bien oui, avec cette tempête magnifique, l’heure est au bonheur ! Nous sommes vraiment d’ici ! Portés, confortés, dirait-on, par ce milieu auquel nous appartenons tellement. Et puis j’entends encore mon père me répéter : «La vie est bonne, John, la vie est bonne.»

    27 décembre 2012
  5. Martine #

    Quel beau texte!

    Hier soir en rentrant du travail à pied, j’ai prolongé ma balade. Sourires sur les visages croisés, comme si les promeneurs étaient complices, partageant les flocons tourbillonnants.

    Martine

    28 décembre 2012
  6. Jean Provencher #

    Que j’aime ton mot, chère Martine. Merci. Merci. C’est bien vrai, nous ne le remarquons pas assez, les gens ont le sourire lorsqu’il fait tempête. Je disais à une journaliste que nous habitons une nature fort changeante, mais non abusive, je trouve. Elle nous donne à goûter tous les temps, mais sans nous humilier, nous mettre à genoux.

    28 décembre 2012
  7. Bonjour, enfin bon lendemain de tempête ! J’aime bien lire vos textes, si près de nous de notre vie !
    J’aime les temps extrêmes surtout en hiver c’est un moment d’arrêt, une pause, une coupure. Lecture et contemplation. Puis le lendemain mine de rien la réalité refait surface, le plein air, le cardio pour doucement déneiger et une belle promenade afin de voir la vie qui reprend son cours, les oiseaux qui cherchent leur pitance, les gens qui se parlent, la lumière qui inonde puis le soleil qui tire sa révérence. Merci a vous de prendre le temps pour nous replonger dans le temps d’avant, l’instant d’un souvenir

    28 décembre 2012
  8. Jean Provencher #

    Merci beaucoup, chère Marie. C’est tout à fait cela.

    28 décembre 2012

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