Vieillir, c’est immanquable, il nous vient toutes sortes d’idées sur le passage du temps
Originaire de France, établi au Québec durant les années 60, professeur de littérature à la retraite, excellent écrivain, Roland Bourneuf, 85 ans, vient tout juste de faire paraître Vieillir chemin de vérité.
Vous avez envie de vous colleter avec le sujet, voici un petit livre magnifique sur « vieillir » et non la « vieillesse », comme l’écrit l’auteur en quatrième de couverture. Un livre de 128 pages, reposant sur 42 thèmes.
Voici l’une de ces belles réflexions.
Une ouverture inattendue
Dans le concret quotidien, il m’arrive de suivre la suggestion de ce qui est sous mes yeux et qui m’entraîne vers des visions d’autres saisons et d’autres lieux. Ainsi, aujourd’hui, en mes vacances estivales, je pousse ma promenade plus loin que les jours précédents sur la plage de la baie. J’ai déjà repéré l’érosion des marées, mais voilà celle, plus brutale peut-être, des eaux de ruissellement. Elles ont ouvert la falaise d’argile des brèches d’une profondeur inattendue, qui découpent des masses coniques, des pyramides, qui elles-mêmes seront érodées et aplanies. Tout en haut, des rangées de trous bien ronds que les hirondelles de mer ont peuplés avant de partir vers d’autres cieux. L’argile nue se découpe en feuilletages compliqués, lisses ou granuleux, mais ce ne sont pas des caches à fossiles comme, à quelques kilomètres, le site de Miguasha. Si j’observe les couches stratifiées de la falaise, j’ai l’impression d’une prodigieuse durée de la Terre.
Demeurer proche du vivant, de ce qui vibre, se transforme, entre en résonance dans la nature et chez les êtres. Contempler dans la finitude sinon l’infini, du moins l’immense, le mouvant, le tout-changeant. Le bleu du ciel dans ses nuances imperceptibles selon les heures, la lumière en ses variations, les jeux des nuages sur l’eau du fleuve ou de la baie, le frissonnement des feuilles, l’apparition des premiers signes de l’automne. Le ciel nocturne où s’allonge la Voie lactée dans une poussière d’étoiles. Deviner les constellations, me perdre dans les distances inimaginables. Vient alors le sentiment d’immensité, de distances et de durées hors d’atteinte de toute représentation.
Il me semble que le vieil âge qui rétrécit tout à sa mesure et qui coupe les liens vivants peut trouver dans cette contemplation, cette rêverie, plus qu’un recours, une ouverture inépuisable, le sentiment d’une unité, mais bien au-delà de ce qu’il croyait.
Roland Bourneuf, Vieillir chemin de vérité, Montréal et Paris, Médiaspaul, 2020, p. 119s.