Du numéro de Noël du journal Le Soleil
Le vieux sonneur monte au clocher
Jusqu’aux meurtrières béantes
Où les corneilles vont nicher
Et, chétif, il vient se percher
Au milieu des poutres géantes.
Dans les ténèbres où ne luit
Qu’un falot pendant aux solives,
Il s’agite et mène grand bruit
Pour mettre en danse cette nuit
Les battants des cloches massives.
Joyeuses, avec un son clair,
Les voix des cloches, par le faîte
Des lucarnes, s’en vont dans l’air
Sur les ailes du vent d’hiver,
Comme des messagers de fête.
Noël ! Noël ! Sur les hameaux
Où les gens rentrent à la brune,
Sur les bois noirs et sur les eaux
Où tout un peuple de roseaux
Frisonne au lever de la lune.
Noël !.. Sur la ferme là-bas,
Dont la vitre rouge étincelle :
Sur la grand’route où, seul et las,
Le voyageur double le pas ;
Partout court la bonne nouvelle.
Oh ! ces carillons argentins
Dans les campagnes assombries,
Quels souvenirs doux et lointains,
Quels beaux soirs et quels gais matins
Ressuscitent leurs sonneries !
Jadis il me venait au cœur
Une allégresse chaude et tendre :
J’ai beau vieillir et passer fleur,
Je retrouve joie et vigueur
Aujourd’hui, rien qu’à les entendre.
Et cette musique de l’air,
Cette gaîté, sonore et pleine,
Ce chœur mélodieux et clair
Qui s’en va dans la nuit d’hiver
Ensoleiller toute la plaine ;
C’est l’œuvre de ce vieux sonneur
Qui, dans son clocher solitaire,
Fait tomber, ainsi qu’un vanneur,
Cette semence de bonheur
Sur tous les enfants de la terre.
André Theuriet (1833-1907)
Le Soleil (Québec), 17 décembre 1898.