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La lune, quel magnifique bouc émissaire

Elle nous permettait même de nous dire non responsables.

Il fut un temps où nous étions fort heureux de la savoir là afin d’être capable de la blâmer de nos maux.

Un docteur vient de découvrir que la lune est la seule cause de toutes les actions mauvaises que commet l’humanité.

À l’époque du renouvellement de la lune, les hommes sont, paraît-il, en proie à une surexcitation qui, parfois, les porte à de fâcheuses extrémités.

Ainsi, le bon docteur a observé que les révolutions ont toujours lieu à la nouvelle lune.

De même les crimes, de même les suicides !

Un monsieur qui n’a pas de calendrier peut être fixé tout de suite sur les phases lunaires. Si, en ouvrant son journal, il y trouve le récit de quelque crime, il peut se dire hardiment :

— Tiens ! la lune est nouvelle !

C’est aussi pendant cette funeste période que sont renversés les ministères !

De sorte que, pour éviter dorénavant toute crise ministérielle, il suffirait de décréter que les députés resteront chez eux à la nouvelle lune.

Si donc c’est la lune qui est la seule coupable, pourquoi punir l’humanité irresponsable ?

L’assassin n’est plus, dès lors, qu’une malheureuse victime des fumisteries de Phœbé la blonde, et on devrait admettre que les crimes commis à la nouvelle lune ne comptent pas.

La police recevrait des instructions en conséquence.

Deux gardiens de la paix passent, le soir, dans une rue déserte.

À la lueur d’un bec de gaz, ils aperçoivent un individu en train de chouriner quelqu’un de ses concitoyens.

Aussitôt, ils se précipitent sur l’homme.

— Mais lâchez-moi donc ! hurle celui-ci. A-t-on jamais vu ces manières ! […]

Les deux agents consultent gravement leur calendrier.

— Tiens, en effet, murmurent-ils, c’est la nouvelle lune !

Et ils relâchent leur prisonnier, après lui avoir fait des excuses. […]

Que de scènes inattendues chaque jour !

Un monsieur arrive au bureau de police.

— Monsieur le commissaire, on m’a cambriolé mon appartement.

— Grave cela… Quand vous a-t-on dévalisé ?

— Hier.

— Hier ? … Ah bigre ! C’est bien différent… Hier, c’était la nouvelle lune… Ce n’est pas la faute du cambrioleur… C’est l’influence néfaste de l’astre… Vous devriez avoir honte de vous plaindre !

L’humanité doit des remerciements au docteur pour lui avoir appris que, pendant la nouvelle lune, les hommes ne sont pas responsables ni de ce qu’ils font ni de ce qu’ils disent.

Pourvu, toutefois, qu’il n’ait pas lui-même fait son admirable découverte pendant cette période fatidique.

 

Le Canada (Montréal), 5 juillet 1904.

Rappelez-vous qu’il arrivait que jardiniers et cultivateurs s’en prennent à la lune rousse. À Victo, on criait à ce sujet. Des habitants des campagnes la tenaient aussi responsable du froid.

Pourquoi pas une histoire de la nuit québécoise, avec un plein chapitre sur la lune ! Ce document-ci entrant dans la catégorie « Article d’origine européenne proposé au public lecteur québécois ».

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