L’écrivain Louis Fréchette sur le rire
La gaieté n’est pas le bonheur, mais c’est encore ce qui s’en rapproche le plus ; c’en est l’illusion ravissante et dorée.
Comme toutes les illusions, elle est, hélas ! trompeuse, factice, plus ou moins fugace. C’est l’image réfléchie par un miroir ; image éphémère, irréelle, mais aussi fidèle, aussi vivante, aussi trompe-l’œil que puisse être une image.
Or, comme il est dans la destinée humaine de toujours courir après le bonheur, et comme le bonheur ci-bas est et sera toujours la plus insaisissable des chimères, contentons-nous de l’ombre, à défaut de la réalité. […]
Que voulez-vous, je ne connais point de plus douce philosophie que celle qui nous fait prendre la vie gaiement et nous montre les choses par leur côté joyeux, plaisant ou ridicule. Cette philosophie est la plus sûre des ressources contre les contrariétés de l’existence, contre les tristesses de ce monde.
Un spectacle vous écœure, tournez-vous ; vous en verrez un autre qui vous fera tordre. Quelqu’un vous blesse, ne songez pas à la blessure ; levez les yeux sur votre agresseur et quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, vous poufferez de rire. Et vous connaissez l’axiome : qui rit est désarmé. Désarmé, c’est-à-dire guéri.
Savoir se retourner au bon moment, jeter les yeux au bon endroit, tout est là. […]
Soyons donc enjoués et rieurs, n’en déplaise aux bonnets de nuits de toutes les couleurs et de toutes les formes. On corrige plus le vice et l’on émousse plus la méchanceté avec une plaisanterie, une ironie ou un sarcasme, qu’avec des in-folio d’homélies et des torrents d’objurgations.
Du reste l’éclat de rire qui jaillit clair et sonore des lèvres largement ouvertes ne peut monter que d’un cœur vibrant et, lui aussi, largement ouvert. […]
Louis Fréchette.
Le Canada (Montréal), 25 juin 1903.