Dans la série des poèmes des temps d’hier
Il nous faudra bien un jour une petite anthologie, fine et respectueuse, des poèmes paraissant dans la presse québécoise de 1880 à 1910. Autant les quotidiens que les hebdos en publient. Finalement ils abondent.
En voici un nouveau du poète Jean Charbonneau (1875-1960). Qui connaît Charbonneau ? Il fut un des fondateurs de l’École littéraire de Montréal en 1895. Prix David en 1924. Mais il n’a jamais couru les journalistes. Voici ce qu’en dit le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Montréal, Éditions Fides, 1989), de Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski : Jean Charbonneau est resté toute sa vie un solitaire…
Le journal La Patrie publie son poème Les Glaneuses le 7 juillet 1906.
Les Glaneuses
Un champ à l’infini. C’est l’heure des moissons.
Par un déclin du jour que l’astre éclaire encore,
Alors que les faucheurs, fauchant depuis l’aurore,
Reviennent deux à deux, aux pentes des vallons.
Au loin, des paysans, près des meules nouvelles,
Radieux, sous un ciel encor plein de clarté,
Se détachent. Leurs yeux respirent la gaieté,
Et de leurs doigts, ils font les très blondes javelles.
Le crépuscule roux envahit peu à peu
Les guérets sans limite aux mille fleurs aimées;
Sur le vaste tableau des plaines embaumées,
La nuit semble verser quelque chose de Dieu.
Comme pour rendre hommage à la saison fertile,
Quelques femmes des champs ceintes de tabliers,
Ramassent en chantant les épis oubliés,
Puis, s’enfoncent au fond de l’horizon tranquille.
Et quand l’ombre du soir fait des fantômes d’eux,
À l’heure sainte où seul le silence travaille,
Contents de n’avoir rien perdu de la semaille,
Tous ces simples s’en vont, fatigués, mais heureux…
Comme le paysan qui jette sa semence,
Nous avons tous semé la dolente moisson
Au vent de la folie, et dans une chanson,
Au fond de la pensée avec un geste immense.
Prodigues de désirs, de rêve et d’action,
Quand le soleil d’été, dans les flancs de la terre,
A fait grandir le blé superbement austère,
Nous attendons l’époque, avec dévotion,
Où la faulx du faucheur de son tranchant acerbe,
Dans les moindres sillons que le soc a creusés,
Fera tomber les fruits de nos labeurs passés,
Et que du tout l’on fasse une abondante gerbe.
C’est le temps des moissons, ô moissonneur divin !
Les souvenirs épars de la morte jeunesse,
Les bons et les mauvais hasards et la tristesse,
Et les pleurs parsemés sur le bord du chemin.
Récolte les épis oubliés au hasard :
Ramasse tout, glaneur, c’est le temps de la glane
Car la fleur qu’on délaisse au jeu du sort se fane :
Pour qui la veut cueillir après, il est trop tard.
Ramasse sans tarder et ne crains pas l’envie,
Fais ta gerbe tout seul avec un front altier,
Et qu’elle soit toujours en l’univers entier,
L’emblème qui te fasse orienter ta vie.
Jean Charbonneau.
La photographie du bronze La Glaneuse d’Alfred Laliberté (1878-1953), prise par Neuville Bazin, est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote : E6, S7, SS1, P75121.
Vraiment une Beauté. On a l’impression d’être dans la lumière de ce jour qui s’éteint.
Ah! Comme ce serait bien cette anthologie dont vous rêvez. J’ai imprimé plusieurs des œuvres que vous nous proposez et j’entends en faire une sorte de collage intéressant au regard. Moi qui n’ai aucune fibre artistique cela devrait être un défi…
J’ai déniché de belles cartes postales anciennes des Glaneuses et autres œuvres semblable de Millet. J’en ferai sûrement quelque chose.
Merci Jean et surtout longue vie!!
Merci à Vous, chère Silvana, de nous donner à goûter à votre sensibilité.
Je me demandais si vous aviez des projets de conférences cet été ou encore à l’automne.
Diverses rencontres à gauche et à droite, davantage à l’automne que cet été. L’été, en mon domaine de travailleur autonome, est toujours un temps tranquille. De juin à août, les gens sont en vacances.
Alors je compte bien aller vous entendre dès que l’occasion se présentera. Pour moi, la fin de l’été et l’automne sont des périodes où j’ai plus de latitude de déplacement.
Bonsoir Monsieur Jean !
Je vois de la lumière dorée dans ce poème aux rythmes ondoyants. Oui, une anthologie ! c’est un très beau projet pour ne pas oublier. A bientôt !
Merci beaucoup, chère Madame France. Tout à fait comme Vous dites : pour ne pas oublier.
Bonsoir à Vous.
Une beauté!!!!! MERCI, mon Cher!
Cela vaut un voyage ! Merci infiniment!