À quand une histoire des gens du voyage ?
J’ai souvent l’impression que tout est encore à faire en histoire au Québec. Nous avons mis tant de temps sur le religieux et le politique que des grands pans ne sont même pas encore documentés.
Qui donc, par exemple, nous proposera une grande histoire des gens du voyage ? Dans la presse québécoise d’il y a 100 ans, je repère un grand nombre d’errants, de gens de passage. Ils portent mille noms : colporteurs, vagabonds, quêteux, hobos, Bohémiens, gypsies, Juifs, Syriens, Italiens, Arabes, Mexicains, etc. D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Souvent, on l’ignore.
Chose certaine, l’errance et la différence font craindre. Jamais ces populations ne sont bien accueillies. Et, lorsqu’elles apparaissent, on a hâte qu’elles déguerpissent. Toujours, on leur fait la plus mauvaise réputation : agressions, vols, enlèvements d’enfants, etc. La plupart du temps, sans fondement, bien sûr. On répétera qu’en ville, ils s’introduisent en passant par les cours et profitent toujours de l’absence du mari. On prévient donc de fermer portes et fenêtres.
Voyez cette nouvelle publiée dans le quotidien montréalais La Patrie le 5 décembre 1895. « Hier matin, on recevait au bureau des détectives une dépêche de Drummondville, disant qu’une bande de bohémiens (gypsies), venant du nord, avaient établi leur camp à quelques minutes de la ville. L’auteur de la dépêche ajoutait que les bohémiens avaient avec eux une enfant blanche de trois ans, et demandait si on ne recherchait pas une petite fille volée ou disparue. D’après les conseils du chef de police de Québec, M. Lamouche a immédiatement télégraphié à Boston et quelques instants après il recevait une dépêche du chef de cette dernière ville, disant qu’en effet on recherchait une petite fille du nom de L. Leonard, âgée de 3 ans et 6 mois, blonde, avec cheveux bouclés, qui est disparu depuis quelque temps et qu’on a toujours cru enlevée par les gypsies. Cette description correspond exactement à cette donnée par le correspondant de Drummondville, et nos détectives pourront probablement rendre à une mère désolée son enfant qu’elle croyait perdue pour toujours. »
Neuf jours plus tard, le correspondant de L’Écho des Bois-Francs à Drummondville nie cette histoire d’enlèvement. Il écrit le 14 décembre 1895 : « Les journaux quotidiens publient toute une histoire à sensation relativement à la caravane de Bohémiens qui, la semaine dernière, a bivouaqué dans un bois à cinq milles d’ici. D’après le récit, les vagabonds auraient enlevé et ensuite traîné à leur remorque jusqu’ici une petite fille appartenant à une dame Leonard, de Boston. Une visite au camp des pauvres diables, où règne la plus grande misère, a convaincu les autorités que la petite fille en question n’est autre que le fils de l’une des bohémiennes. La police peut donc dormir tranquille. La bande, composée de 6 hommes, sept femmes et quinze enfants, a levé le camp samedi et a pris la direction des États-Unis, à la recherche, sans doute, d’un climat moins rigoureux. Ces vagabonds parlent presque toutes les langues, et prétendent avoir mené cette vie errante pendant six ans en Europe et être arrivés à Québec en octobre dernier. En tous cas, nous sommes heureux d’en être débarrassés. »
Toujours dans L’Écho des Bois-Francs, le 14 décembre 1895, lors de leur traversée du village de L’Avenir, à 20 km au sud-est de Drummonville, le journaliste y va de ce texte : « Cette troupe de gipsées dont les journaux ont parlé dernièrement a passé ici mardi dernier. On se sent involontairement pris de pitié en face de tant de misère. Il y avait dans une seule voiture une dizaine d’enfants à moitié vêtus et nu-tête. Les femmes portaient sur leur dos leurs bébés enfermés dans des sacs. Je ne comprends pas comme ces enfants ne sont pas gelés. Ils se disent tous catholiques ».
Il ne sera pas facile de documenter cette grande histoire des gens du voyage. Où sont leurs archives ? En ont-ils même ? Et qui pourrait témoigner aujourd’hui. Mais il faudrait quand même commencer avant de baisser les bras. Et probablement imaginer un grand tableau peint à toutes petites touches à partir de pareilles descriptions, si courtes soient-elles. Ce serait déjà ça.
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