Le chant de l’hiver
Dépouillant la magnifique anthologie de la poésie russe de Katia Granoff, on constate rapidement que les poètes russes ont beaucoup chanté l’hiver.
Joseph Outkine (1903-1944), poète dont certains de ses textes furent mis en musique par Dimitri Chostakovitch (1906-1975), y a contribué. Ce texte-ci serait peut-être paru dans son recueil De la Patrie, de l’Amour et de l’Amitié.
La troïka
Une troïka va rapide,
Sous la lumière du croissant,
Et sa clochette au son limpide,
Tinte, loquace, en conversant.
Trop étroite est la carriole
Pour l’ample essor de la chanson
Qui, d’une épaule à l’autre épaule,
Résonne et danse à l’unisson.
La chanteur accordéoniste,
À son instrument l’attachant,
Au Kremlin ou chez l’aubergiste,
A promené partout son chant.
Sur la neige, brouillant les traces,
Le vent soulève un tourbillon,
Mais dans le cœur point ne s’efface
Le souvenir de la chanson.
Cet imagé, ce clair langage
Du chant sonore et coloré
Retentit, au loin se propage,
Du cœur du peuple il est tout près !
La troïka vole et projette
Ses rires le long du chemin,
Dans les crinières, comme en fête,
Brille l’andrinople carmin.
Qu’est-ce donc, Un loup, une pierre ?
Le pur-sang russe pommelé,
Ouvrant ses obliques paupières,
Louche déjà tout affolé.
Mais on ne voit aucune trace
Sur la neige nouvelle car,
Au chant russe cédant la place,
Dans la forêt le loup repart.
Et le chant, vibrant de promesses,
S’envole au loin sur la blancheur ;
Il monte, s’assourdit, et meurt,
Ainsi que le fait ma jeunesse.
1939
Anthologie de la poésie russe, Édition de Katia Granoff, Préface de Brice Parain, Paris, Éditions Gallimard nrf, 1993, p. 474s.
Merci, Jean, pour ce cadeau magnifique.