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Du grand Whitman

Au 19e siècle, aux États-Unis, des auteurs, du grand monde — Emily Dickinson, Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau et Walt Whitman — ont trouvé leur salut, dirais-je, dans la simple fréquentation de la nature et nous ont laissé des œuvres fort importantes.

Whitman est peut-être moins connu au Québec. Mais Rosaire Dion-Lévesque, lui, né à Nashua au New Hampshire, l’aime beaucoup.

Au point où, à 33 ans, en 1933, en pleine crise économique, il paie de sa poche une édition en langue française de Whitman de ce qu’il dit être « ses meilleures pages ».

Si, un jour, chez un de vos bouquinistes, vous voyez passer cet ouvrage rare, je crois, je ne l’ai aperçu qu’une fois, attrapez-le. Vous y trouverez l’âme de Whitman.

Dion-Lévesque nous offrait un grand cadeau.

Et que vous proposez de ce livre maintenant ? Ceci d’abord :

 

La voix de la pluie

Qui donc es-tu ? disais-je à l’averse d’avril,

Et la pluie, chose étrange, me répondit :

Je suis le Poème de la Terre ;

Éternelle, je m’élève des entrailles du sol

et des abîmes de la mer ;

Je m’élève jusqu’au ciel, et là,

vaguement changée, et pourtant toujours la même,

Je redescends laver les végétations

et les poussières du globe terrestre,

Et tout, sans moi, ne serait que grains latents,

stériles, morts-nés.

Ainsi toujours, le jour et la nuit, je redonne

la vie à ma propre origine ; je la purifie et lui donne la beauté.

(Ainsi nos chansons jaillissent du cœur, s’élèvent, voyagent dans l’espace, et reviennent fortifier l’amour !)

 

. . .

Et puis cela :

 

Les voix

 Maintenant j’écris un poème pour les voix —

parce que je n’ai rien trouvé de plus puissant qu’elles !

Et j’ai appris que toute parole énoncée est belle,

et à sa place.

 

Qu’est-ce donc qui me fait trembler ainsi au son de ces voix ?

Certainement, quiconque me parlera d’une voix juste et sincère,

Celui-là, ou celle-là, je le suivrai ;

Comme l’eau suit la lune ; silencieusement,

avec ses pas fluides, par toute la terre.

 

Tout attend, prêt à répondre aux voix justes.

Où sont les langues et les gosiers parfaits ? Où donc est l’âme épanouie ?

Car je vois que chaque mot prononcé est un écho profond et doux de l’âme.

 

Je vois les cervelles et les lèvres closes, les tympans et les tempes léthargiques ;

Jusqu’à ce que la voix qui possède les qualités miraculeuses,

Jusqu’à ce que cette voix unique vienne réveiller ce qui sommeille, attendant depuis toujours, au cœur même des mots.

 

Rosaire Dion-Lévesque, Walt Whitman, ses meilleures pages traduites de l’anglais par Rosaire Dion-Lévesque, Montréal, Éditions Les Elzévirs (première maison d’édition québécoise indépendante du clergé, rue Saint-Hubert), 1933, p. 176-178. Le livre compte 241 pages.

Rosaire Dion-Lévesque est le pseudonyme de Léo-Albert Lévesque, écrivain et journaliste franco-américain, qui a laissé son fonds à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec et non à Ottawa ou en Nouvelle-Angleterre. Il est l’époux de la poétesse Alice Lemieux-Lévesque (1905-1983), dont nous avons déjà rendu hommage. Le couple s’est battu pour la qualité de la langue française en Nouvelle-Angleterre.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Claude Fortin #

    Bonjour Jean,

    Je connais bien Thoreau et Emerson pour les avoir déjà lu et aimé, mais je découvre pour la première fois Whitman. J’aime beaucoup le texte «La voix de la pluie». Simple et inspiré. Belle découverte imprévue pour moi!

    Je vais surveiller cet auteur lors de mes prochaines visites en librairie.

    Salutations
    Merci.

    12 août 2017
  2. Jean Provencher #

    Sois prudent, cher Claude. Les traductions européennes en français des textes de Walt Whitman ne sont vraiment pas toujours heureuses, comme pour les traductions d’ailleurs d’Emily Dickinson. Regarde comme il faut avant d’acheter ; la plupart du temps, c’est très laborieux. Le mieux serait que tu tombes sur ce livre de Rosaire Dion-Lévesque, vraiment le plus réussi. Mais il me semble très très rare.

    La meilleure façon de procéder est d’alerter tes bouquinistes, de leur demander d’avoir l’œil ouvert.

    12 août 2017

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