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« Il neige de la cendre sur notre ville »

Rappelez-vous ce printemps de grands incendies, celui de 1903.

Mercredi, 2 juin

Le firmament s’est fait menaçant. Les pauvres plantes altérées ont cru qu’il venait enfin de la pluie.

Hélas ! c’est de la cendre qui est tombée et tombe encore. Il neige de la cendre sur notre ville. Au-dessus de nous s’étend un immense vélum couleur de souffre. Une odeur de fumée nous arrive du Nord, et la chaleur qu’il fait n’est pas une chaleur d’astre.

D’où venez-vous, petits flocons blancs ou noirs, sinistres messagers ? Toi qui te poses sur mon épaule, et que j’ai failli prendre pour un duvet de colombe, où donc t’a pris le vent ?

Cendre, qui es-tu ? l’aiguille d’un pin, la feuille d’un orme ou le cœur d’un érable ? Es-tu le pétale d’une violette, le nid d’un chardonneret ou le petit d’un merle ?

Quoi que tu sois, atroce réalité, il a palpité hier, l’être ou la chose que tu me représentes ; il s’est tordu de douleur, il a crié son agonie avant de se consumer et de devenir toi. Maintenant, il se laisse emporter, inerte, léger fantôme, tel un rêve éteint.

Peut-être encore, ô flocons de cendre qui lentement vous accumulez dans nos rues, vous êtes-vous échappés de quelques toits en flammes avec le doux bonheur du foyer qu’il abrita ; ou d’un berceau calciné, pour monter comme la petite âme qui s’en retourne au ciel ; peut-être vous êtes-vous envolés d’une croix funéraire, d’un tertre… d’un cadavre : qui sait ?

Le feu pénètre aussi la terre bénite, ne respecte rien, dévore tout. Vous vous mêlez, vous tourbillonnez, flocons blancs ou noirs : l’on ne saurait dire lequel fut arbre, lequel fleur ; lequel fut nid, lequel berceau ou tombe.

Fantaisie.

 

Le Canada (Montréal), 9 juin 1903.

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