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« Le grillon »

Un pauvre petit grillon

Caché dans l’herbe fleurie

Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;

L’azur, la pourpre et l’or éclataient sur ses ailes ;

Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,

Prenant et quittant les plus belles.

Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien

Sont différents ! Dame nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.

Je n’ai point de talent, encor moins de figure.

Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas :

Autant vaudrait n’exister pas.

Comme il parlait, dans la prairie

Arrive une troupe d’enfants :

Aussitôt les voilà courants

Après ce papillon dont ils ont tous envie.

Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper ;

L’insecte vainement cherche à leur échapper,

Il devient bientôt leur conquête.

L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps ;

Un troisième survient, et le prend par la tête :

Il ne fallait pas tant d’efforts

Pour déchirer la pauvre bête.

Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis pas fâché :

Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.

Combien je vais aimer ma retraite profonde !

Pour vivre heureux, vivons caché.

 

Jean Pierre Claris de Florian [1755-1794], Fable, Livre II.

 

Jean-Joseph Julaud, Petite anthologie de la poésie amoureuse, Paris, Éditions First, 2008, p. 117s.

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