«Je me marie, je me marie pas»
Rappel d’enfance. Amour d’adolescents. Peut-être avez-vous souvenir d’avoir effeuillé la Marguerite ? Marie-Victorin (Flore laurentienne, 1964) écrit : Le folklore de cette espèce est abondant et bien connu : jeunes gens et jeunes filles effeuillent une Marguerite pour savoir la vérité sur leurs amourettes; les formules varient à l’infini, mais le dernier rayon effeuillé donne toujours la réponse.
Dans La Patrie du 13 juillet 1901, celle qui signe Jeanne D’Ohan rappelle cette tradition.
«Il m’aime ! … Il ne m’aime pas !» et la corolle blanche s’émiette, tombant pétale par pétale sous les doigts fuselés de la naïve et rieuse fillette. Elle sourit, puis tout à coup, son front s’assombrit : «S’il ne m’aimait pas» pense-t-elle… Mais non ! Déjà la marguerite est effeuillée et la brise emportant le dernier lambeau de la robe blanche a murmuré : «Il t’aime !»
Alors ravie, ignorant encore la grandeur de ces paroles, ses grands yeux bleus perdus dans le vague azuré, la blondine enfant de quinze ans murmure : «Il m’aime !» et dans cette ingénuité charmante, tout entière à son rêve de printemps, son imagination trotte dans ce pays fantastique où tout est rose de bonheur ! […]
Soudain, elle sursaute ! On a prononcé son nom, bien sûr… Cette voix ? Mais c’est la sienne à lui ! L’écolière sent battre son cœur plus fort et ne sait pas pourquoi.
Serait-ce possible ? Lui de retour du collège, et il viendrait la surprendre le premier jour des vacances ? Mais non : elle s’est trompée, c’est une illusion comme tant d’autres à quinze ans ! … Et cette fois encore ! … — «Marguerite !» dit la voix.
C’est son nom à elle. Elle avait donc bien compris tout à l’heure, mais elle a beau interroger du regard chaque buisson, personne !
Soudain ! d’un bosquet de roses surgit une tête brune, des yeux noirs, un bouche rieuse, puis des bras, puis des jambes, c’est lui !
— Toi, Paul, toi ? balbutia Marguerite.
— Moi-même. Je me serais présenté depuis longtemps si je n’avais pas assisté à une charmante pantomime. Depuis une heure, entends-tu ? Pourquoi rêver si longtemps ?
— Je pensais… à mes compagnes… les religieuses… le couvent, fit Marguerite rougissante.
— Ah, bien, oui, Marguerite, était-ce du couvent que tu disais : «Il m’aime !» répondit Paul moqueur.
Marguerite pencha la tête et craignit de répondre à celui qui jusqu’alors avait partagé ses jeux de petite fille. Très très aimable, Paul demanda :
— Les aimes-tu beaucoup les marguerites ?
— Beaucoup ! Elles sont si gentilles, les mignonnettes, et aussi nous portons le même nom.
— Et c’est tout ? Dis, Margot, serais-je indiscret de demander qui est ce «il» dont tu parlais tantôt ?
— C’est… Eh bien, Paul, fit-elle avec effort, «il» c’est toi… et les marguerites m’ont dit que !»…
La brise emporta les derniers mots et Marguerite, rougissant de tant de hardiesse, se sauva très vite. Paul, ravi de tant de candeur, prit une fleurette blanche au cœur d’or et l’effeuilla, répétant comme son amie : «Elle m’aime ! … Elle m’aime !»