La cocaïne s’implante à New-York
Si, à Paris, il y a un peu plus de cent ans, on consomme un certain nombre de produits menant à des paradis imaginaires, voilà ici que les habitants de certains quartiers de New-York découvrent la cocaïne. À la une, La Patrie du 15 mars 1905 y fait écho.
Le «Tenderloin» de New-York [un quartier situé en plein cœur de Manhattan] est en proie à un nouveau vice, plus redoutable encore que l’ivrognerie et la débauche, au point de vue hygiénique du moins.
Dans l’argot du quartier, ce vice s’appelle «blowing the burners», et ceux qui l’ont créé sont en train de s’enrichir rapidement.
Presque tous les pharmaciens du Tenderloin et un grand nombre de Harlem vendent de prétendus remèdes contre le catarrhe. La substance vendue aux clients est une poudre blanche contenant une bonne dose de cocaïne. Elle est enfermée dans de petits flacons accompagnés d’un tube de verre et d’un autre de caoutchouc.
Après avoir mis la poudre dans le tube de verre, on place celui-ci dans une de ses narines et, en soufflant dans le tube de caoutchouc adapté au premier, on s’envoie dans le nez le contenu du premier tube.
Les bouteilles de poudre et les tubes se vendent de vingt à quarante centins.
La police saisie de la chose a fait à ce sujet une enquête approfondie et, déjà, plusieurs pharmaciens, qui avaient vendu de la cocaïne sans la prescription de rigueur, ont reçu l’ordre de comparaître en cour de police.
On peut d’ailleurs acheter à New-York de l’opium et de la morphine tout aussi aisément que de la cocaïne.
Un grand nombre d’hommes et de femmes adonnés à l’usage de la cocaïne se réunissent à l’hôtel Lafayette, sur le 7e avenue, entre les 10e et 41e rues. Le tenancier de cet établissement est un petit homme aux manières onctueuses, nommé Archie Haddon, bien connu dans les cours de police. Dans une razzia opérée chez lui, la police a mis le grappin sur une quarantaine d’individus.
Un reporter a vu plusieurs femmes en train de se livrer à la passion du «cocaïnisme» dans une salle retirée de l’hôtel Lafayette. Près d’un vieux piano, se tenait un adolescent qui récitait une poésie intitulée »Le rêve de la cocaïne», puis le chantait en s’accompagnant au piano. Et les assistants applaudissaient avec enthousiasme.[…]
Les gens adonnés à l’usage de ces poisons et les pharmaciens violateurs de la loi s’entendent à merveille au moyen d’un code de signaux secrets. […] Le secrétaire du conseil de pharmacie du quartier Est connaît un pharmacien qui, en quelques mois, a vendu 10,000 flacons de cocaïne. […]
Aujourd’hui, l’usage de la cocaïne s’est tellement répandu que le «blowing the burners» se pratique dans les magasins, les bureaux et même dans les maisons privées.