Un grand vent sur Montréal
Le quotidien montréalais La Patrie du jeudi Saint, 8 avril 1909, fait sa une avec un grand vent qui souffle sur Montréal.
Depuis hier, le vent s’engouffre en tempête par nos rues. Toute la nuit, il a hurlé aux fenêtres et sous les portes, menaçant dans sa colère effroyable d’emporter sous ses ailes sombres les petits enfants qui, durant la journée, n’avaient pas été très sages. Et ceci n’est pas une vaine menace, puisque le reporter de la Patrie, qui à la vérité ne pèse pas très lourd, se trouvant par devoir professionnel hier soir, sur la berge à Maisonneuve, a failli être emporté à l’eau.
Le grave astronome municipal qui, du haut de sa tour à l’hôtel de ville regarde comme sœur Anne s’il, ne voit rien venir, était fort dépité, ce matin. Son anémomètre, — comme qui dirait sa corde à mesurer le vent — était détraqué.
Cela ne l’a pas empêché de déclarer doctement, sur la foi des derniers télégrammes de la nuit, que le vent qui, ce matin, met la ville en émoi, n’est que la queue d’un cyclone qui a passé sur les Grands Lacs, hier. Heureusement que nous ne lui voyons que la queue, car, à la façon énergique dont il en époussète la ville, de considérables dégâts eussent été à redouter s’il s’était avisé de passer par chez nous. […]
Nombre de passants ont subi des désagréments sur lesquels généralement on n’aime pas à discourir outre mesure. C’est ainsi que les chapeliers vont certainement, aujourd’hui et demain, faire de bonnes affaires. Innombrables sont les chapeaux melons, les modestes «cocos» autrement dit, qui ont sauté des têtes et se sont précipités sous les roues d’un tramway ou d’un véhicule quelconque, dont la destinée cruelle assure invariablement la présence néfaste.
Il suffit d’un instant d’inattention pour amener une catastrophe irrémédiable, pour faire rouler, voleter à une fin prématurée un couvre-chef dont la carrière promettait d’être longue et honorable. Résultat, perte sèche de deux à trois piastres pour le monsieur qui devient pour le chapelier du coin un client de choix. […] C’est pourquoi il arrive, les jours de grand vent, de voir fréquemment un monsieur nu-tête qui déambule à grandes enjambées, l’air furieux.
Que dire du monsieur pressé dont une branche cassée transperce le chapeau, lequel a l’air ainsi de laisser passer une corne : ce sont là des choses qui arrivent, mais ne se voient pas d’habitude. Plus fréquemment est le cas que certains estiment folâtre de la dame à qui tout à coup les jupes remontent par-dessus la tête : certaines dansent de fureur, d’autres poussent des cris stridents, puis traitent de monstre le monsieur qui galamment s’offre à les tirer d’embarras.