Les mots du pays profond
Un jour, l’écrivain Jacques Lacarrière décide de partir à pied. Voyez ici la carte des communautés traversées dans l’est de la France depuis l’Alsace jusqu’au pays cathare. L’ouvrage s’appelle Chemin faisant. 1,000 kilomètres à pied à travers la France d’aujourd’hui (Fayard, 1974). Comme le dit le quatrième de couverture, il part ainsi pour «retrouver les saisons, l’amitié des insectes, le regard d’un enfant sur le seuil d’un rêve». Et seulement la marche permet tout cela.
En 240 pages, il raconte cette marche. Nous l’évoquions d’ailleurs. Les sujets d’intérêt fourmillent dans ce livre. Voici ici l’auteur s’arrêtant aux mots du pays profond. Extraits.
C’est surtout à partir de l’Auvergne que ces noms touchant le paysage, les maisons, les matériaux, les plantes (et qui ne sont pas du patois mais des mots simplement régionaux), se mettent à proliférer. Et on ne peut rester insensible, en dehors de leur contenu utilitaire, à la beauté et à la saveur de ces mots. Ils expriment beaucoup plus que la musique de leurs syllabes : ils dévoilent un regard différent, une expérience irremplaçable : face au paysage que l’on regarde sa vie durant ou face à la terre qu’on transforme.
À côté des termes savants, du glossaire propre aux géographes, émerge un glossaire parallèle, un lexique insoupçonné où sont nommés, inventoriés, les moindres accidents d’un paysage, les reliefs et les creux d’un sol, les caprices des rus et des fleuves, les tragédies du vent ou le mystère des gouffres.
Ce lexique, je l’ai découvert au fil des jours en parlant, en écoutant, en lisant des brochures locales et je m’aperçois aujourd’hui, en écrivant ce livre que je ne le retrouve dans aucun dictionnaire, voire dans aucune œuvre écrite. Cela est proprement incroyable dans un pays qui passe à la fois pour le plus littéraire du monde et qui s’est longtemps voulu et proclamé celui d’un peuple paysan. […]
Et à mesure que je les découvrais, ces mots nouveaux ont commencé à chanter sur ma bouche : bétoire, capitelle, bout du monde, bouzigue, bâtardis, cheire, doline, dévèze, feigne, fleurine, garissade, griffons, gâtine, groize, lavagne, narce, restanque, roubine, sombre, salobre, tindoul, tioulassé, varaigne.
Je cite les plus courants qu’on parvient encore à trouver dans certains dictionnaires mais (sans le moindre effort et en notant simplement ce que j’entendais ou lisais dans les journaux locaux), j’en ai recueilli plus de deux cents qui ne figurent dans aucun lexique. Quel poème ne peut-on écrire avec ces mots, j’entends un vrai poème, utilisant la chair de ces mots et non, bien entendu, un texte folklorique !
C’est un lexique d’herbes, des phrases de rocs et de vents, un livre qui vit et qui chante bien loin de nos oreilles habituées au franglais et qu’on ne peut découvrir qu’en le cherchant sur les chemins, dans ces cafés des vieux villages et sur la bouche d’un paysan vous expliquant la route à suivre.
Ce sera pour moi une des découvertes essentielles de ce voyage que ce surgissement de mots inconnus, ces poèmes de terre et d’eau sourdant de la mémoire ancienne.
Le sujet vous intéresse ? Voyez ici le parler québécois qui, lui, vient du grand siècle.
Et ici, l’œuvre de Pascal Poirier sur le parler franco-acadien.
J’ai poursuivi ma lecture, en recherchant le sens donné à chacun de ces mots, en péril de disparition…Dommage !
Merci beaucoup, Alcoléa, merci beaucoup !
Et suis honoré de votre présence.