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À nouveau se manifestent les mondes qui s’interpénètrent

Arrivera-t-on, un jour, à percer le voile de l’univers où les mondes s’interpénètrent, à ouvrir la porte de ce décor de carton-pâte ? Quel est vraiment le mécanisme de ces événements qu’on dit être hasards, coïncidences, concomitances, et qu’on se dépêche d’oublier, sans jamais s’y pencher avec attention ? Arthur Kœstler dans deux de ses livres s’y est arrêté, mais il faut poursuivre la quête.

La semaine dernière, une dame, me disant qu’elle préparait un travail long à l’université sur le thème de l’eau de Pâques, me demandait de l’info à ce sujet. Je lui ai envoyé un «copié-collé» de ce que j’en avais dit dans mes Quatre Saisons, puis, évoquant la documentation bien pauvre, je l’ai mise sur la piste de l’ouvrage de Denise Rodrigue, Le cycle de l’eau de Pâques au Québec et dans l’Ouest de la France, et j’ai rajouté qu’à ce jour, je n’avais absolument rien trouvé à ce sujet dans la presse québécoise de 1880 à 1910. Étonnante d’ailleurs cette absence de l’eau de Pâques.

Et voilà que ce matin, dans La Patrie du 3 avril 1893, je tombe pile, une semaine après la demande de la dame, sur la chronique du lundi de Françoise, Resurgam. Pour guérir le mal de son amoureux, l’héroïne de son propos, la brune Mina, attendait que vienne enfin le jour de Pâques. Retrouvons-la.

 

Une seule chance de salut restait. Oh ! forte et vivace celle-là.

Pendant ces longs jours de souffrances, elle avait impatiemment attendu que Pâques parut enfin pour aller chercher cette eau, laquelle, comme le veut la naïve croyance, puisée au rebours du courant, avant le lever du soleil, devient une eau miraculeuse et guérit de tous les maux.

L’air est si bon, si plein de promesse, la clarté se fait de moment en moment si lumineuse que ses rayons pénètrent jusqu’à l’âme et y font entrer l’espérance.

Quand tout autour d’elle parlait de résurrection et de vie, quand la terre, autre phénix, semblait renaître de ses cendres, ce jeune chêne languissant retrouverait aussi — qui pourrait en douter ? — la sève bienfaisante qui constitue sa force et sa vigueur.

Mais, il n’y avait pas un instant à perdre, ou l’eau merveilleuse perdrait de sa vertu. Serrant son manteau plus étroitement autour de sa taille, Mina descendit rapidement les quelques marches du perron et se dirigea vers la petite rivière qui coulait là-bas avec un bruissement entre ses rives glacées.

Le courant descendait avec assez de force le long du coteau, roulant avec lui les petits cailloux blancs qui tapissaient son lit.

Que de fois au temps de la fenaison, Mina avait baigné ses pieds dans ses ondes fraîches et limpides.

Chère eau qui reflétait le ciel et où s’était tant de fois miré son grand œil noir.

Mina s’agenouilla sur la berge et, prenant de ses deux mains sa cruche de grès qu’elle avait apportée avec elle, avec une prière, elle la plongea dans les eaux glaçantes «au rebours du courant».

L’eau s’y engouffra avec un léger bouillonnement; des bulles d’air s’échappèrent à la surface des eaux, puis le glou-glou cessa ; la cruche était remplie.

Elle reprit plus lentement le sentier de la maison; ce poids qu’elle tenait suspendu à son bras rendait sa démarche plus pesante. De temps en temps, la neige cédait sous son pas et faisait son pèlerinage plus pénible.

Mais que lui importaient les fatigues, les meurtrissures de ses mains sur les anses de pierre ! Elle cheminait maintenant plus heureuse et plus légère parce que sa douleur lui semblait moins pesante.

Déjà elle se voyait auprès du malade, lavant doucement la chair livide, qui, sous l’attouchement de cette eau des miracles, prendrait un ton plus ferme et une couleur plus vermeille.

Les chants de Pâques tintaient à ses oreilles; il lui semblait entendre les chants de triomphe, les sons de cloche à grande volée éclatant sous les voûtes sonores de l’église paroissiale.

Ce matin, à la grand’messe, ses parents offraient à leur tour le pain bénit, composé d’énormes galettes à la croûte appétissante et mordorée, superposées en étages et flanquées de petites banderoles bleues, blanches et rouges.

On en ferait les parts aussi larges que possible; les parents et les amis ayant tous le privilège de l’affection recevraient, eux, des «cousins», gâteau plus petit et de forme particulière.

Mina se promettait d’en réserver le plus beau pour Jean-Louis qu’elle lui porterait elle-même, enveloppé dans un grand mouchoir, bien blanc, bien propre, repassé la veille dans cette intention.

À mesure que ses pensées s’attachaient à ce dimanche de Pâques, à ses touchantes coutumes, à sa grandiose solennité, une consolante espérance remplissait son âme et en chassait les ombres, comme le soleil qui commençait à diaprer la nue, dissipait les buées diaphanes de cette heure matinale.

Debout encore une fois sur les marches qui conduisaient à sa demeure, contemplant l’astre étincelant s’élevant lentement derrière l’horizon, Mina se souvint de l’antique superstition qui veut que, dans son allégresse de la résurrection du Christ, ses rayons dansent à travers l’espace……

Enfin, «le roi brillant de gloire» paraît dans toute son éblouissante splendeur; le firmament qu’il embrase de ses feux n’est plus qu’une grande féérie dont les irradiations prêtent des jets de lumière au clocher svelte et droit, aux toits rouges, et jusque dans les champs dénudés.

Et pour que la fête soit plus complète, pour qu’il ne manque aucune note à l’hymne de la nature, là-haut, sur la branche du peuplier voisin, un merle, ce héraut du printemps, entonne la fanfare éclatante de l’Alleluia triomphal…

 

D’où vient qu’aujourd’hui ce beau texte de Françoise m’est donné juste après la demande de cette universitaire, après dix ans dans la presse québécoise ancienne sans que n’apparaisse une seule mention d’eau de Pâques ? Où est cette porte secrète des univers qui s’interpénètrent, soudain se manifestent à nous, que nous n’arrivons pas à trouver ? Un jour, j’en suis certain, la clef nous semblera si évidente. Oui, examinons bien.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Esther #

    On se plaît à répéter souvent que le hasard n’existe pas… Et pourtant, à tout moment nous sont donnés des moments enivrants, des rencontres inespérées, des découvertes inattendues (comme la vôtre), ces éléments « cadeaux de vie » venus on ne sait d’où…
    Est-il si nécessaire de trouver la clé de ces énigmes ? Je ne sais pas… mais je remercie la Vie qui me comble de ces bonheurs… « tombés du ciel ».

    22 avril 2014
  2. Jean Provencher #

    Bien belle manière d’imaginer ainsi la vie que Vous avez, chère Esther. Ne pas se fermer à l’inattendu, toujours demeurer éveillée. L’assoupissement confortable est tellement facile.

    Personnellement, j’espère aussi qu’on arrivera bientôt à mieux comprendre le mécanisme de la venue de ces moments enivrants, surprenants, étonnants. Histoire de toujours Vivre pleinement, de ne jamais perdre un enrichissement qui passe sans même nous en apercevoir. La vie est fort courte. Il y a chez elle, j’en suis certain, une densité qui pourrait nous pousser à un plus grand accomplissement.

    Merci, chère Esther.

    22 avril 2014

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