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Les dimanches de novembre de vague à l’âme

C’est un dimanche lamentable : il pleut, le vent est plein de reproches… on voudrait s’approcher d’un grand feu qui flambe…

J’ai laissé tomber mon livre : il est rempli de mots sonores enfilés en mesure, mais l’âme en est absente : sur la table s’empilent des journaux, j’y lirais des récits de scandales, les horreurs de la guerre, toute la misère humaine ! Je n’y trouverais rien pour me tirer de la tristesse où j’enfonce. Les vêpres sonnent : sous la pluie et courbant le dos, les gens pieux se rendent à l’église, et les gamins aussi : ils n’entendent rien au latin des psaumes, et ils se feront des niches dans l’église à moitié vide.

Indolente et lasse dans mon fauteuil, je regarde plutôt le pluie qui fait des ronds dans l’eau, et je me dis machinalement : «Il faut pourtant trouver quelque chose à dire aux lecteurs (…) !» Mais je ne trouve rien et je devrais avoir des scrupules de vous faire partager l’impression opprimante qui se dégage d’une grande solitude perdue dans le brouillard.

Peut-être quelques-uns parmi vous auront déjà senti profondément que malgré les amitiés et les sympathies, chacun de nous est terriblement seul en ce monde ! Nous sommes parfois longtemps sans nous en douter, nous sommes si entourés extérieurement; puis, subitement se fait l’angoissante révélation. Nous sentons tout à coup que nous sommes hors d’atteinte de toute aide et de toute consolation, et nous n’avons personne à accuser, puisque c’est notre incapacité à nous expliquer et à nous révéler qui nous isole ainsi.

Quand vous avez voulu dire ce qui vous consume en dedans : angoisse, doute, regret ou joie profonde, avez-vous remarqué, sur la figure de celui qui vous écoute, cette expression de non compréhension qui vous force à reculer en vous-même ? C’est dans ces moments que l’âme sent la solitude, et qu’elle entrevoit dans un éclair lumineux qu’elle sera encore plus seule pour mourir qu’elle ne l’a été pour vivre. […]

Il pleut toujours : à travers le grand silence de la rue déserte m’arrivent les sons un peu vague de l’orgue grêle de la petite église… les accords monotones arrêtent, puis reprennent avec chaque psaume nouveau, et il me semble que ma tristesse, comme un voile qui se lève, se fond peu à peu dans une douceur apaisante qui vient de très loin… peut-être des bonheurs passés…

* * *

J’aime beaucoup Fadette pour son écriture toujours tout à fait sentie, vécue dirais-je. J’en ai parlé déjà. Allez voir ce que j’en dis à cet article. Sur ce site interactif, Fadette nous a aussi parlé de cette jeune fille, nouvelle arrivée au village, qui excite terriblement les hommes de la place. Elle nous a aussi raconté la tradition du cheveux dans l’ourlet, gage d’amour futur.

Ce texte ci-haut qu’elle a intitulé «Tristesse» est l’une de ses chroniques dans le journal Le Devoir parue dans la troisième série de ses Lettres de fadette publiée à Montréal en 1916. Il me semble qu’il y a là partage d’un moment qu’il nous faut vivre à l’occasion dans cette condition d’humain. Partage apaisant de savoir que nous ne sommes pas seuls. Réconfort.

L’image est celle de la Pointe du Moulin, site du fort de la Pointe-Claire. Un dessin à la plume d’A. S. Brodeur d’après une photographie prise en 1867. Source : Inventaire des biens culturels, Pointe-Claire — Maisons, Cote 4488 A-3.

Contribution à une anthologie sur novembre.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. alain gaudreault #

    Les sanglots longs
    Des violons
    De l’automne
    Blessent mon cœur
    D’une langueur
    Monotone.

    10 novembre 2013
  2. Jean Provencher #

    Bien beau texte de Paul Verlaine. Il existe de belles versions chantées. Celle de Trenet, même datée, est pas mal du tout.

    10 novembre 2013

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