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«Nos frères des États-Unis»

Au début du 20e siècle, les journalistes de la presse de langue française en Nouvelle-Angleterre constatent que les Franco-Américains courent à l’assimilation. Dans sa page éditoriale du 8 mai 1903, le quotidien montréalais La Patrie fait écho à ces préoccupations sous le titre «Nos frères des États-Unis». Un texte absolument intéressant à lire cent ans plus tard.

Une discussion des plus intéressantes vient de s’engager entre les principaux journaux français de la Nouvelle-Angleterre sur «l’absorption nationale et religieuse» des nôtres aux États-Unis.

L’Opinion Publique semble disposée à admettre que nos gens finiront tôt ou tard de se fondre dans le grand tout américain. Le confrère ne redoute pas l’assimilation politique, mais l’assimilation nationale qui fait que nos frères de là-bas perdent tous les jours l’habitude de parler français, qu’ils s’américanisent dans toute l’acceptation du terme, sans souci de leur dignité, ni des traditions sacrées qui leur ont été léguées.

L’Étoile dit : «Nous marchons à grands pas vers l’assimilation. Heureusement, la route à parcourir est encore longue et nous ne verrons peut-être pas nous-mêmes ce fait s’accomplir, mais nous devons nous en rendre compte, afin de travailler à en retarder le moment le plus possible. Et elle ajoute :

«Bien qu’ils parlent encore le français, qu’ils lisent le français, qu’ils semblent avoir une préférence pour la fréquentation des églises canadiennes françaises, les nôtres tiennent moins aujourd’hui à leurs coutumes qu’ils y tenaient. Ils abandonnent plus facilement leurs usages. Ils parlent aussi l’anglais à leurs affaires ou à leur travail et, arrivés à la maison, ils trouvent bien plus simple de continuer dans la même langue. Le résultat est que les enfants entendent parler l’anglais au dehors et n’entendent que très peu de conversations françaises dans la famille, ne retiennent qu’imparfaitement ce qu’ils ont appris de français à l’école et refusent souvent de le parler de crainte de faire des fautes et d’attirer sur eux le ridicule. Les amis anglais, écossais ou irlandais ne peuvent prononcer très bien ce nom français de leur compagnon canadien. Ils en demandent une traduction et l’autre les laisse ainsi appeler d’un nom qui ne veut rien dire. L’assimilation est complète. Le caractère canadien est depuis longtemps disparu de cette famille, la langue est perdue et le nom est changé.»

L’Indépendant de Fall River n’est pas aussi pessimiste, car il reproche à ses confrères de broyer du noir, de se chagriner et de s’alarmer inutilement.

«Les statistiques, dit-il, prouvent que le nombre d’écoles franco-américaines s’accroît constamment. Et c’est l’école, à n’en pas douter, qui est le boulevard de notre langue maternelle dans ce pays.

«Il y a malheureusement, dans certains États, des écoles maintenues par nos populations où le français n’est pas enseigné comme il devrait l’être; mais on peut remédier à cet état de choses, et nous savons que les intéressés y travaillent courageusement.

«Réussiront-ils à obtenir ce qu’ils demandent ? Nous en avons le ferme espoir. Or, quand l’existence de l’école franco-américaine sera partout assurée, nous n’aurons plus à craindre de ce côté-là, et rien que nous sachions n’empêchera dès lors le français de se perpétuer.

«C’est donc sur l’école que doit se reporter toute notre sollicitude, si nous tenons à ce que nos efforts et nos sacrifices passés ne soient point perdus. Mais, pour être forts, nous ne devons ni désespérer, ni verser dans le pessimisme.

«Il est de toute nécessité que nous devenions de loyaux citoyens de cette grande République; mais cela ne veut pas dire que nous devions abandonner la langue française, puisque tant d’Américains de naissance — et les plus distingués — la parlent et la font apprendre à leurs enfants.

«En vérité, jamais elle n’a été plus admirée aux États-Unis que dans ces dernières années, et l’accueil si cordial — nous pourrions dire enthousiaste — fait aux conférenciers de Harvard et de la Fédération de l’Alliance française en est la preuve la plus convaincante.»

L’Opinion Publique revient à la charge. Tout en ne contestant pas que les écoles soient un rempart protecteur puissant de la langue française aux États-Unis, elle dit que l’école paroissiale n’abrite pas tous les petits Canadiens, qu’un grand nombre vont tout droit aux écoles publiques et que, comme les parents de ces enfants ont jeté la langue française aux chiens, il s’en suit que l’assimilation s’opère. Car on n’apprend pas de religion aux écoles publiques et il est rare qu’un Canadien-français conserve la foi de ses ancêtres s’il perd l’usage de sa langue.

Il suffit, ajoute notre confrère, de fréquenter les cercles sociaux pour constater l’évolution qui s’opère. Les vieux parlent encore français, mais ils préfèrent volontiers converser en anglais; un grand nombre de jeunes gens rougissent en parlant français, car ils se sont familiarisés avec l’anglais qu’ils manient avec plus d’assurance. Quand aux enfants, ceux des familles à l’aise en particulier, la plupart sont assimilés en naissant au point de vue du langage.

L’Opinion Publique déclare que la génération qui croît est déjà avancée dans le domaine de l’assimilation. Que sera celle qui viendra après elle ?

L’école ne suffit pas. Avant et après l’école, il y a la famille.

Le confrère ne parle pas des ménages de Canadiens avec Irlandais, Anglais, Américains, etc., qui ne produisent d’ordinaire que des assimilés, et il termine en engageant ses compatriotes à redoubler d’efforts et de vigilance pour conserver la langue maternelle.

Le Messager, de Lewiston, est du même avis que L’Opinion Publique. Il se prend quelquefois à désespérer de l’avenir des nôtres aux États-Unis.

 

Un texte troublant !

La photographie prise en 2009 de «memere Rose and mom», au restaurant Davinci, à Lewiston, Maine, est de monsieur Paradis sur Flickr.

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