Skip to content

Le miroir aux alouettes

Après la rébellion des Patriotes, en 1837-1838, réprimée dans le sang, surgit dans la tête de certains Québécois l’option de l’annexion aux États-Unis.  Pourquoi ne pas changer notre poisson d’eau et le mettre à nager dans le grand tout américain ? Même Louis-Joseph Papineau, «héros de la patrie», y songe, l’espace d’un moment. Notre salut se trouverait aux États-Unis. Parfois, jusqu’à la fin du 19e siècle, on évoque cette solution politique.

Ce n’est pas l’avis de l’hebdomadaire Le Monde illustré, qui propose plutôt de travailler à l’indépendance face à l’Angleterre. Aussi le journal est-il heureux de publier, le 15 février 1890, la lettre de François Tujague (1836-1896). Dans cette lettre, Tujague déconseille fortement aux Québécois, aux «Canadiens», dit-on à l’époque, l’annexion aux États-Unis. Originaire du Midi de la France, arrivé en Louisiane à l’âge de cinq ans, commerçant à La Nouvelle-Orléans et écrivain, il aurait été toute sa vie un fier défenseur de la langue française dans le sud des États-Unis.

Voici comment Le Monde illustré présente la lettre de Tujague :

Nous avons toujours été, pour des raisons que nous croyons bonnes, contre l’annexion du Canada aux États-Unis. Et nous avons toujours dit que, si un changement politique devenait nécessaire en ce pays-ci, ce serait du côté de l’indépendance que les Canadiens devraient faire tous leurs efforts. L’indépendance seule, répétons-le, améliorera la position présente du Canada.

Nous sommes heureux aujourd’hui de pouvoir reproduire quelques paragraphes d’une lettre d’un Français distingué de la Louisiane, M. F. Tujague, si avantageusement connu ici, lettre dans laquelle l’auteur s’efforce de faire voir les grands désavantages d’une union plus étroite entre les deux pays voisins. Voici ces entractes :

 

«Votre langue ? dit-il en s’adressant aux Canadiens-français, pendant les premières années qui suivront l’annexion, vos fils, pour vous complaire, la parleront peut-être encore sous vos toits, mais non dans la rue; d’ailleurs, bientôt, ils n’aimeront plus à l’écrire. Mais à vos petits-fils, pour se donner bon genre, ils ne voudront plus ni l’écrire ni la parler; et pour comble d’humiliation, vous verrez les Américains des classes supérieures, tenter pour l’apprendre, les plus louables efforts. Ce phénomène, à l’heure qu’il est, fait notre étonnement en Louisiane.

Votre religion ? Les Américains, en hommes avisés, s’abstiendront d’avoir recours à ce moyen de lui recruter des adhérents. Mais, ne vous y trompez pas, votre religion, au point de vue politique, constitue une cause d’infériorité. Dans les fonctions publiques, elle sera par la suite un sérieux obstacle à votre avancement. Il est bien vrai que la constitution fédérale ne dit nulle part qu’un catholique ne sera jamais l’hôte de la Maison Blanche; mais qu’a-t-on besoin de texte écrit quand la loi est gravée dans l’âme des populations ? Peut-on admettre que ce peuple, qui est protestant dans la proportion de dix à un, et, de plus, profondément attaché à son culte, condescende à hisser au fauteuil présidentiel un catholique ? Pense-t-on que cette race anglo-saxonne, qui n’admet point d’égale, se donne volontairement par le suffrage universel un chef de race latine ? L’histoire n’aurait donc plus ses enseignements, et la nature des hommes aurait abdiqué tous les instincts qu’on lui connaît !….

On l’a déjà dit, mais on ne saurait trop le répéter; au point de vue de vos aspirations françaises, au lieu de deux millions d’adversaires avec lesquels vous êtes actuellement aux prises, vous en aurez soixante et quelques millions à combattre. Ce sera là le plus clair de vos profits. Malgré votre héroïsme, vous croyez-vous de taille à lutter, avec votre petite armée de quinze à dix-huit cent mille congénères, contre cette avalanche humaine ? »

Et Tujague termine ainsi : « L’indépendance, soit; l’annexion jamais. »

L’hebdomadaire montréalais, lui, de rajouter aux propos de Tujague : Vive l’indépendance !

 

Illustration du Pygargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus, Bald eagle), l’emblème aviaire des États-Unis, de Raphaël Quinet sur Flickr.

Le monument commémoratif à Louis-Joseph Papineau devant l’Hôtel du Parlement, à Québec, inauguré en 2002, est une œuvre de Suzanne Gravel et Yvon Milliard.

4 commentaires Publier un commentaire
  1. alain gaudreault #

    Le fameux bald eagle,presque devenue commun au québec,J’ai cumulé plusieurs observations ces dernieres années,dont une en hiver le long de la 40!

    30 janvier 2013
  2. Jean Provencher #

    Très très impressionnant, cet oiseau. Chez moi, assis sur ma galerie avant, regardant vers le sud, que vois-je soudain s’en venant à basse altitude ? Ce magnifique oiseau. Et, très calmement, filant vers le nord, il m’a survolé. J’ai tant regretté d’avoir laissé ma caméra sur la table, dans la maison. Quelle belle bête !

    30 janvier 2013
  3. alain gaudreault #

    J’en ai déja vus un avec des corneilles sur le bord du chemin,en train de se délecter d’une marmote!

    31 janvier 2013
  4. Jean Provencher #

    Pygargue et corneilles ! Les corneilles devaient sans doute le respecter, lui laisser les meilleurs morceaux, car elles auraient peut-être risqué d’y passer elles aussi.

    31 janvier 2013

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS