De grands incendies
En 1895, le mois de septembre est particulièrement sec, surtout au sud du fleuve Saint-Laurent. Il s’ensuit de grands feux qui causent beaucoup de dommages. De nombreux journaux en parlent.
Le mardi 24 septembre 1895, le quotidien montréalais La Patrie y va d’un entrefilet : « Des feux de forêts ont brûlé toute la journée dans les environs de Brault’s Mills et Aston. À Brault’s Mills, une petite gare entre Arthabaska et Aston, huit ou neuf maisons ont été entièrement détruites. Des dépêches d’Aston informent que les feux de forêts ont fait de grands dommages et plusieurs maisons ont été brûlées. Des poteaux de télégraphe ont été brûlés, les fils brisés, ce qui fait qu’il est impossible d’obtenir d’autres détails pour le présent. »
Trois jours plus tard, l’hebdomadaire Le Canada français publié à Saint-Jean-sur-Richelieu est plus bavard et en fait sa une sous le titre Les feux de forêts. Des centaines de maisons détruites. Pas de pertes de vie à déplorer.
Les feux de forêts dans les environs d’Arthasbaska et d’Aston ont fait leur œuvre de destruction. Aux scieries Brault, huit ou neuf maisons, la scierie et trois chars chargés de bois ont été consumé [nous sommes ici à Brault’s Mills].
À Wickham, Québec, les dégâts sont insignifiants. Le village a été menacé pendant plusieurs heures quand le feu s’est déclaré.
Entre Drummondville et Saint-Germain, les flammes ont ravagé les maisons et les granges des fermiers.
Au nombre des personnes qui ont éprouvé des pertes assez considérables se trouvent MM. Joseph Carpentier, Alex Gosselin, Adélard Bastorache et Pierre Quinter.
À St-Nicolet, les feux de forêts ont ravagé les environs.
À St-Léonard, sept ou huit maisons ont été brûlées.
À Ste-Perpétue, trois maisons ont été la proie des flammes. Les bois sont considérablement endommagés.
À Ste-Eulalie, toute une rangée de 100 maisons a été réduite en cendres. Les récoltes étaient engrangées et ont toutes été détruites.
À St-Sylvère, trente-cinq fermiers ont perdu tout ce qu’ils avaient.
Fort heureusement, jusqu’à présent, il n’y a aucune perte de vie à déplorer.
Dans la région de la rivière du Loup, les feux de forêts s’étendent rapidement.
On dit quatorze maisons ont été détruites à St-Arsène et que des pertes considérables ont été éprouvées par les fermiers de Ste-Épiphanie et de St-Modeste.
Le 27 septembre 1895, le bi-hebdomadaire Le Trifluvien, publié à Trois-Rivières, écrit :
Le feu continue ses ravages dans les paroisses du sud. À Kingsey Falls, on a craint un instant que le village ne fût détruit en entier. Heureusement on a réussi depuis lors à circonscrire l’élément dévastateur.
Lundi, le village de Wickham était entouré d’un cercle de feu. Une quantité de bois de chauffage et de fourrage a été consumée dans les environs.
On mande de Drummondville que dans le 8e rang de St-Germain, plusieurs maisons, granges et étables ont été détruites.
À St-Léonard, 7 ou 8 maisons ont été incendiées; à Ste-Perpétue, 3; dégâts considérables. À Ste-Eulalie, l’incendie a consumé plus de 100 maisons; les récoltes sont dévastées.
On signale également des feux de forêt dans la région marécageuse de Casselman à Moose Creek, sur le parcours du Canada Atlantique. À la Rivière-du-Loup, on a craint pour les propriétés de l’Intercolonial et de la compagnie de chemin de fer de Témiscouata, et on a requis les services d’une escouade de pompiers pour les protéger.
On dit que 14 constructions ont été incendiées à Ste-Épiphanie et St-Modeste et que les cultivateurs de ces paroisses ont été très éprouvés.
La dernière pluie que nous avons eue a éteint les feux dans nos environs, mais les dégâts sont partout considérables et la misère va succéder à la dévastation. C’est le temps pour la charité de s’exercer.
En fouillant sur internet, on obtient d’autres détails sur cet événement de septembre 1895.
Un des incendies aurait commencé à Saint-Célestin, peut-être causé par des colons qui brûlaient leurs abattis. Il a touché des lieux comme Breault’s Mills, Aston, Sainte-Eulalie, Bulstrode, Rivière Noire, Saint-Albert de Warwick, Kingsey Falls et Doucets Landing. Finalement, celui-ci se serait achevé à Sainte-Angèle-de-Laval, en face de Trois-Rivières. La population, affolée, ne sait comment réagir. On poste des gardiens autour des villages, on prie, on allume des cierges sur les autels, on place des statues près des maisons pour éloigner le feu. Les forêts et les récoltes sont détruites. Les populations démunies quêtent auprès des passagers du Grand Tronc, le train qui passe à basse vitesse dans ces terres dévastées. On dit que certaines familles, complètement dépourvues, demandent au Grand Tronc de pouvoir monter dans le train et descendre plus loin dans un endroit non incendié. C’est la désespérance. D’ailleurs, bientôt, ayant tout perdu, beaucoup d’entre elles ont gagné Arthabaska ou Trois-Rivières.
L’événement me touche particulièrement. Je me rappelle que la seule évocation de Breault’s Mills touchait mon père au cœur sans qu’on ne sache trop pourquoi. Jamais cette histoire ne fut transmise dans la famille; mon propre père n’a jamais connu sa mère, décédée alors qu’il avait deux ans. Et me voilà aujourd’hui à documenter ce fait.
Au moment de cette incendie, ma grand-mère paternelle, bébé d’une famille de six enfants, elle-même alors âgée de 13 ans et demi, habite avec les siens — Pierre Breault, Parméla Poirier et ses frères et sœurs — à Breault’s Mills, un bourg d’une douzaine de maisons, un moulin à scier, une petite gare, des piles de bois de construction, du bois de pulpe, des dormants de chemin de fer, des poteaux de télégraphe et trois wagons du Grand Tronc, chargés de marchandises et sur une voie de garage. Et tout brûlera, même les troupeaux. Les familles fuient de tous les côtés. Une source écrit : « Messieurs Pierre Brault [sans doute le père de ma grand-mère Provencher], J. Lamothe, Joseph Désilets, Antoine Désilets et L. Desrosiers ont mis deux jours et deux nuits à chercher les leurs et les ont finalement trouvés sur les bords de la rivière [probablement la Bécancour].»
Quelle histoire !
À ma connaissance, personne n’a encore documenté ce mois de septembre 1895 au sud du Saint-Laurent. À lire les journaux, il semble que, davantage qu’un embrasement généralisé, le feu courut par taches sur un grand territoire. Quelle en serait donc la cause ? Un seul journal mentionne que tout a commencé au moment où des colons brûlaient leurs abattis. Mais se pourrait-il que le chemin de fer plutôt en soit le responsable ? La région est fort bien pourvue de voies ferrées depuis quelques dizaines d’années. Et une locomotive passant dans des forêts de la fin de septembre, qui n’ont pas connu la pluie depuis des semaines, et crachant des étincelles tout au long de son chemin, aurait pu mettre le feu et le répandre même. Vous souvenez-vous de ce que disait un Québécois à un journaliste belge de passage en 1904 ?
Qui donc nous proposera le grand ouvrage sur ce septembre 1895 au sud du Saint-Laurent ?
Voici quelques autres références relatives à cet événement.
Les lignes ci-haut furent mises en ligne le 3 octobre. Nous sommes maintenant le 17 octobre. Je rentre de Breault’s Mills. Quelle histoire ! En bordure de la route, dans le Rang 6 de Saint-Wenceslas, là où se trouvait Breault’s Mills, un hameau (il ne reste plus rien des humbles maisons de bois de l’époque, le bâti est contemporain), Henri-Paul Breault, 73 ans, fend du bois, tout près du lieu où habitait ma belle grand-mère Rose. Je m’arrête, on se serre la main, je me présente. Il a comme arrière-grand-père Pierre Breault, le même que le mien, le père de Rose ! Et son grand-père Joseph, fils de Pierre donc, était le frère de Rose. C’est assez incroyable ! Nous sommes parents, lui et moi ! Très proches ! Et son grand-père est mort en 1970, à 98 ans, avec toute sa tête jusqu’à la fin; donc il lui en a raconté beaucoup. Le moulin de Breault’s Mills appartenait bien à Pierre et il a brûlé à deux reprises. Après le premier feu, Pierre l’a rebâti. Henri-Paul m’a montré où était l’emplacement de la gare, disparue aujourd’hui; il n’y a plus que des hautes herbes en bordure de la voie ferrée. J’ai vu où était le moulin à scier, dans la coulée; mais il ne reste plus rien. Où Pierre a retrouvé les siens après le grand feu, le long de la Bécancour. Et, à un moment donné — ô surprise ! —, tout près de cet endroit, voilà une roulotte avec une statue à un des coins, comme en 1895, une statue protectrice contre le feu. Le passé crie. La vie a parfois des moments à vraiment vous jeter par terre.
J’épingle ci-bas le lieu de la coulée où se trouvait le moulin à scier, mais il ne reste plus rien. L’endroit où, après le grand incendie, Pierre a retrouvé les siens, son épouse et ses enfants, dont Rose et Joseph, le long de la Bécancour. Et, vraiment tout près, en bordure de la rivière, la statue protectrice contre le feu, au coin de la maison, tout comme en 1895.
P. S. Il ne semble plus y avoir aucune trace de Breault’s Mills dans la mémoire des gens de Saint-Wenceslas. C’était, à l’époque, l’appellation de la gare du Grand Tronc, compagnie de chemin de fer du passé. Et, comme la gare est aussi disparue, il en fut de l’appellation. Sauf pour Madame Claire Lupien qui m’a mis sur la piste d’Henri-Paul, au petit Restaurant du coin, rue Principale. Il faut désormais parler de « Rang 6 » à «Saint-Wen». Merci, chère Vous.
Vous trouverez la photographie de ma grand-mère et de ses parents à l’adresse suivante.
L’illustration ci-haut, de Denis Collette, apparaît à la page suivante.
Fascinant cette catastrophe dont on ne connait presque rien. Aujourd’hui, on peut s’imaginer qu’une enquête du coroner serait mise en place pour mieux comprendre les causes mais il semble bien que ça n’a pas été le cas à l’époque. D’ailleurs, en quelle année a-t-on institué ces fameux coroners?
Un histoire renversante, en effet. Jamais je n’en avais trouvé trace auparavant. Au sujet des coroners, je sais que, dans les villes comme Montréal et Québec, il y a quelqu’un d’office pour enquêter immédiatement lors d’une catastrophe. Mais pour l’ensemble du Québec, je vais devoir fouiller. Il est vrai que l’événement avait créé beaucoup de misère, mais n’avait pas fait de mort.
P.S. Sitôt que j’aurai une minute, je crois bien que je vais sauter dans la bagnole pour gagner Saint-Wenceslas, histoire de savoir si, matériellement ou dans la mémoire des gens, il y a encore des traces de Brault’s Mills, alors le pays de ma grand-mère, ton arrière-grand-mère.
Merci, Jean !!!
Je t’en prie, chère Lucie.
Ce que je regrette aujourd`hui, c`est entraide. Autrefois tout le monde (je crois) s`entraidait. Tous pour celui qui subit l`épreuve, on reconstruit.
Aujourd`hui on se tourne vers le gouvernemaman. Et on veut que tout ce règle en un claquement de doigts. C`est le syndrome de la touche ENTER. La loi du moindre effort. J`ose croire que si cela arrivait demain, nous nous serrerions les coudes.
Ce fait me rappelle l excellent livre de Jocelyne Saucier ‘ Il pleuvait des oiseaux’ paru il y a un an environ où elle traite du même sujet, via le Grand Feu de Matheson dans le nord de l Ontario au début des années … 1900 je crois. Saisissant.
Oups, merci de la référence. On en dit le plus grand bien, en effet. Va falloir que je m’y mette.
Oh Jean !!! C’est incroyable !!! Quels moments émouvants et magiques, tu as sans doute vécus !! Un signe des ancêtres… ? Fantastique !!!
Je vais te dire, j’ai passé un fort bel après-midi. Ça marque un événement pareil !
Très touchant cet article Jean ! Il y a effectivement ressemblance avec l’histoire du magnifique roman de Jocelyne Saucier …
En ce qui concerne la cause d’une telle catastrophe, une personne de mon village m’a déjà dit qu’un simple feu de brûlage de branches et de feuilles peut se répandre par les racines des arbres et ainsi essaimer à plusieurs endroits et que ce genre de feu est très difficile à éteindre . Mais je ne suis pas coroner ….
Merci encore de nous faire connaître un pan de la vie des gens de ce temps.
Merci beaucoup, chère Andrée.
Merci Monsieur Provencher de permettre aux gens de chez nous de se rappeler… C’est très important de se rappeler. Merci encore
Merci beaucoup, chère Vous. Je crois, en effet, qu’il est important de nourrir la mémoire, de mettre du bois dans le poêle pour que le feu ne s’éteigne.
Bonjour, je suis l’une des descendantes du Antoine Désilets que vous parlez. J’ étais voisine de Henri-Paul Breault dans ma jeunesse. Comme je m’intéresse à la généalogie et tout les histoires qui s’y rattache, je suis très heureuse d’être tombé sur les informtions que vous donnez. Je me demandais pourquoi la maison de mes ancêtres avais brûlé.
Ma mère me parlait qu’il y avait déja eu une gare de l’autre côté de la ligne de chemin de fer. L’ancienne maison (brûlé) avait un petit magasin qui contenait le nécessaire du temps et était très bien situé pour recevoir de la marchandise.
J’aimerais que vous me décrivier ou était situé le Breault mill’s, par curiosité. J’ai passé ma jeunesse à jouer dans la coulé, mais sans savoir qu’il y avait un bâtiment autrefois.
Merci beaucoup pour l’information que vous avez joint. Cela explique bien pourquoi qu’il y a un rang qui porte le nom de : rang du pays brûlé.
Breault Mill’s se trouve, chère Vous, dans le Sixième Rang de Saint-Wenceslas, un hameau autour de la gare de chemin de fer et d’un moulin. Mais il ne reste plus rien de la gare, non plus que du moulin. Mais si vous évoqué le Sixième Rang à «Saint-Wenne», ils vont facilement vous indiquer comment vous y rendre.
Le grand feu à Matheson s’est produit le 28 ou 29 juillet 1916. l’an dernier, mon conjoint et moi sommes allés en visite à Iroquois Falls, dans la région de Matheson. Ce fut une vraie catastrophe. Les grands-parents de mon conjoint, et d’autres membres de la famille ont vécu ce terrible incendie car ils demeuraient là. Il y a eu des centaines de morts; plusieurs se sont réfugiés dans la rivière Abitibi, et dans le moulin à papier d’Iroquois Falls pour échapper au désastre.
Nous allons nous procurer le livre dont vous parlez.
Je ne connaissais pas ce grand feu de Matheson, chère Vous.
Doublement intéressant pour moi cet incendie. Je me suis intéressé à Breaults pour une autre raison. Mon grand-père Majorique Verville était « conducteur » sur la ligne du CNR Victoriaville- Doucet’s landing dans les années 40-50. Doucet’s landing, c’était Sainte-Angèle. Je possède son « carnet de route » du CNR. La liste des arrêtes du train se lit comme suit: Walker’s Cutting, Black River, Bulstrode, Ste-Eulalie, Aston Jct, Breaults, St-Célestin, Précieux-Sang, St-Grégoire. Doucet’s Landing, Trois-Rivières. Mon arrière-grand-mère paternelle est une Brault, (Héloïse). L’endroit dénommé Breault a donc attiré mon attention. J’ai voulu savoir où était situé Breault, etc. Je me suis rendu à l’endroit mais je n’y ai vu que la traverse de chemin de fer sans plus. Y a-t-il eu une gare? Avec un peu de recherches, j’ai réussi à découvrir que la maison à quelques pas de la traverse était la propriété d’un monsieur Jen-Paul; Brault qui avait vendu sa maison et qui demeurait maintenant au village. Je suis allé chez lui mais je n’ai pu que parler à sa dame. Il était sorti en promenade dans le village. J’ai attendu une petite demi-heure mais il a tardé à rentrer. Je me propose de retourner le voir à Saint-Wen. Sa dame m’a dit que dans ces années-là, tous les jours il allait porte le courrier au bureau de poste du village. Je voudrais en savoir plus. Peut-être a-t-il connu mon grand-père?J »aimerais le savoir. Je découvre maintenant qu’il y avait plus qu’une gare. Je suis emballé par cette histoire. Merci de me l’avoir fait connaître. Je suis l’auteur de « Le saule de Grand-Pré » que vous connaissez peut-être.
Je ne connais pas malheureusement « Le saule de Grand-Pré ». Je suppose que ça parle de l’Acadie.
Vous avez bien raison pour la gare dans le rang 6 de Saint-Wen, il ne reste plus rien de cette gare. Henri-Paul me dit que mon ancêtre, Pierre Breault, le père de ma belle grand-mère d’origine acadienne donc, Rose, baptisée Rosalie, habitait à côté de la gare disparue.
Henri-Paul, vous allez voir, est vraiment un personnage sympathique. Il m’a beaucoup aidé et m’a fait rencontrer Rachel, la nièce de ma grand-mère, âgée aujourd’hui de 98 ans.