Les dires de Marcel
Je suis venu au monde dans un univers de chats. Bien plus de chats que de chiens. Il y a quelques jours, ma sœur Lucie, mère de mon neveu Guillaume, m’envoie la photographie magnifique du chat de ce dernier, s’appelant Marcel.
J’ai d’abord voulu savoir le nom du photographe. Mon neveu me signale qu’il est responsable de ce cliché de « son gros Marcel, très photogénique ». Puis, j’en ai voulu davantage, histoire permettre à Marcel de se faire connaître en vue d’un grand voyage sur la Terre grâce à internet.
Tu l’as pris où ? Pourquoi l’as-tu appelé Marcel ? Quels sont ses goûts ? Ronronne-t-il, parce que le chat qui a eu une mère non ronronnante ne ronronne pas lui-même. Est-il heureux ? Regarde-t-il la télé, comme ma Bouboule que j’ai eu pendant plus de 20 ans, qui aimait les Simpson. Donne-moi des détails semblables si tu le peux.
J’ai reçu rien de moins qu’une réponse de Marcel lui-même. Et la voici :
C’était un hiver terrible… Je n’avais pas encore un an et l’œuvre de ma vie était déjà peinte de la misère féline.
En boule dans un bac à fleurs, il faisait froid. La neige me recouvrait doucement pendant que mes pattes gelaient dans un petit fond d’eau. J’avais réussi à survivre jusque-là, mais je sentais qu’aujourd’hui serait probablement la fin. J’aurais feulé celui qui m’aurait dit, pour m’encourager, que parfois la fin est un recommencement.
Comme il est bon d’avoir tort…
Cette nuit-là, je suis venu au monde une seconde fois.
Son nom est Jessica. C’est elle qui m’a sauvé. La première humaine sympathique que j’ai rencontrée. Elle m’a réchauffé, nourri et présenté à ses deux bourgeoises siamoises.
Toutes deux m’avaient bien fait comprendre que j’étais dans LEUR royaume et que je mangeais LEUR nourriture en respirant LEUR air en compagnie de LEUR humaine.
J’avoue, on était un peu à l’étroit. Ça doit sûrement être la raison pour laquelle Jessica m’avait pris en photo et offert dans les petites annonces.
Mon humain s’appelle Guillaume. Il était venu me chercher seul. Dès que je l’ai vu, j’ai tout de suite su que je le mettrais à ma patte sans trop d’efforts.
La route ne fut pas longue jusqu’à mon nouveau territoire. Vingt minutes tout au plus, et la cage ouverte donnait sur trois humains miniatures hystériques.
— On va l’appeler comment ? questionna l’un d’eux.
S’ensuivit une longue énumération de noms qui ferait perdre sa félinité à n’importe quel chat qui se respecte. Je vous épargne ici cette liste, juste d’y penser me fait remonter une boule de poil.
C’est alors que Violaine, l’amoureuse de mon humain décida…
— Marcel !!!! Il va s’appeler Marcel…C’est un gros brun, ça lui va comme un gant.
Bien que je ne sois pas gros et que je n’affectionne pas particulièrement les gants, j’aime bien Marcel.
Avoir un nom, ça rapproche de l’existence. Je le porterai fièrement.
Merci, Violaine….
Bien que ce début de vie fut traumatisant, il ne m’a pas laissé amer et peureux pour autant. Bien au contraire… Je suis redevable et j’apprécie chaque moment qui passe.
Mes humains me noient dans les câlins. Je pense que ça leur fait du bien de m’aimer.
Ce n’est pas pour me vanter, mais je crois que je suis un excellent antidépresseur.
Le bonheur est dans les balles qu’ils me lancent et que je rapporte. Il est dans les longues siestes avec mon Guillaume sur le canapé jaune. Le bonheur est dans ma canne de fin de journée.
Il est toujours plus facile d’être heureux en compagnie de ma famille. C’est pourquoi je ne les quitte jamais très longtemps.
On n’a qu’une vie à vivre, qu’on la passe à feuler ou à ronronner, elle va durer le même temps.
Marcel
Les images de Marcel sont de Guillaume Isabelle. Les deux dernières, prises en 1958, ont pour sujet une chatte bien-aimée que nous avions dans notre famille. Ma sœur Lucie, le 22 avril 1958, la porte dans ses bras. Inutile de dire que, dans une grosse famille, le chat n’a pas le choix de s’y faire. Ces deux dernières photos sont de moi. On constate que l’argentique que j’ai apprise au séminaire, qui recourait au nitrate d’argent, était passionnante dans la chambre noire, mais elle n’arrivait pas à la précision du numérique.
Je connais Marcel pour l’avoir vu en photo, mais je ne le savais pas si habile avec les mots. Visiblement ses humains le rendent heureux, bien plus, ils forment avec lui et leurs petits humains une vraie famille. Grâce à eux il est devenu érudit. On le dit aussi débordant de bravoure et de sagesse. Des qualités qui ont fait de lui le titre dont rêvent tout chat qu’il soit bien bien né ou pas.
Mais quelle écriture ! Vraiment ce chat est incroyable !
J’ai oublié de mentionner le titre que porte Marcel dans son quartier : le ‘King’ de la ruelle. Il n’est pas menteur, s’il le dit c’est que c’est vrai. Guillaume me l’a confirmé d’ailleurs