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« Soir gaspésien »

Ami, livre ta voile au vent léger qui passe :

Sur les bois assoupis et la mer jamais lasse

Un rideau d’ombre et de lumière est étendu.

Pour les flots agités, c’est l’instant attendu.

Et pour les hommes c’est l’heure exquise et frivole

Où le souci des jours prend le large et s’envole.

Embarquons-nous, la baie est déserte, le soir

Rallume le vieux phare à l’angle du musoir,

Pour que si dans la nuit constellée et sans lune

Quelque nuage errant posait son aile brune,

Nous revenions au port sous son œil vigilant.

Aucun bruit, si ce n’est le vol d’un goéland,

Ne vient troubler la plage où dort l’eau tranquille.

Regarde, par delà la lointaine presqu’île ;

Le cap s’embrase et las de son dernier effort

Le soleil se raccroche à ses flancs lamés d’or.

Sous l’averse des feux les collines chancellent.

Partout sur les versants les grands pins étincellent

Et leur cône paraît, vers l’ombre projeté,

Dans cette flamme éparse un point diamanté.

C’est un déroulement de teintes inconnues

Dont se coiffent les monts et s’irisent les nues.

Et, pendant qu’attiré par la nuit, le soleil

Brusquement se dérobe à ce décor vermeil,

Il semble qu’une main invisible dénoue

Une écharpe gemmée et qu’un dieu la secoue

Pour laisser choir, du haut des cieux épanouis,

Dans la mer de saphir un énorme rubis.

 

Gonzalve Desaulniers (1863-1934), Les bois qui chantent, Montréal, Librairie Beauchemin, 1930, p. 69s.

La photographie du journaliste, poète et avocat Gonzalve Désaulniers provenant d’une publication quelconque est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec et a la cote suivante : http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/1956915

Nous l’avons repêchée dans le Dictionnaire biographique du Canada ; elle apparaît au tout début de la biographie de Désaulniers.

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