Skip to content

Deux trappeurs en arrachent, perdus dans les grands bois

Une série d’aventures presqu’invraisemblables viennent d’arriver à deux explorateurs de la Lièvre, un sauvage et un blanc.

Joseph Bastien, un Montagnais des mieux estimés, et son compagnons, Pat McCochrane, un Irlandais canadien, sont tous au service de la Cie Clock, propriétaires de gros moulins à six milles de Mattawan. Chargés d’explorer et de surveiller les feux de forêts, ces deux trappeurs parcourent tous les printemps ces immenses solitudes du nord, qui s’étendent depuis Labelle jusqu’à Maniwaki, à cet endroit appelé « Grand Désert ».

En avril dernier, Bastien et McCochrane partaient de Montréal et, de là, pour Joliette, où devaient commencer leurs explorations. S’étant munis de provisions et de poudre, puis de nouveau s’enfoncèrent dans les immenses forêts du nord. Dès ce jour, commencèrent leurs souffrances, souffrances inouïes puisqu’elles se terminèrent par l’horrible supplice de la faim. Ils n’eurent d’abord qu’à lutter contre les intempéries de l’air et les marches fatigantes et ennuyeuses, car les provisions étaient bonnes pour deux semaines.

Hélas ! les deux trappeurs avaient compté sur le sort. Un soir, ils tombèrent épuisés de fatigue sur le bord d’un ravin, et l’un d’eux, le sauvage, s’adressant à son compagnon : « Nous sommes égarés, dit-il, et nos provisions vont manquer ». Ç’était la dure vérité. Les deux trappeurs pour la première fois dans leur vie ne se reconnaissaient plus dans cet immense labyrinthe enfeuillé où s’égarer c’est se perdre. Les trappeurs continuèrent à marcher sans savoir où ils allaient.

Un soir, ils mangèrent le reste de leurs provisions, puis, après une prière ardente à celle qui se fait l’Étoile des trappeurs comme celle des marins, ils se jetèrent sur leur lit de feuillage. Le sommeil, a dit une femme célèbre, est un voleur généreux qui donne à la force ce qu’il prend au temps.

Aussi, au réveil, les malheureux retrouvèrent leurs forces et continuèrent leur marche. Le croirait-on, trois semaines durant, ces deux explorateurs manquèrent presque totalement de nourriture. De temps à autre, ils surprenaient au bord d’un lac des chevreuils à l’abreuvage. D’un coup de fusil, ils en abattaient un et en faisaient un rôt qu’ils dévoraient sans autre assaisonnement. Quelques fois, ils étaient obligés de se contenter de racines d’arbres, qu’ils suçaient après les avoir dépouillées de leur écorce.

Aux souffrances physiques s’ajoutèrent les souffrances morales. Ils allaient peut-être mourir là sans pouvoir confier à personne un message pour leurs femmes et leurs enfants.

Deux loups, un jour, s’élancèrent sur eux, mais les trappeurs grimpèrent dans un arbre et durent demeurer perchés jusqu’à ce que l’impatience d’attendre eut fait détaler ces terribles agresseurs. Enfin, après trois semaines de ce jeûne forcé, Bastien et McCochrane atteignirent une rivière : c’était la Lièvre, c’est-à-dire pour nos deux trappeurs la rivière de salut, puisqu’elle leur permettait de se reconnaître.

Ils atterrirent à Notre-Dame du Laus, où ils reçurent une cordiale hospitalité, puis ils descendirent en canot jusqu’à Buckingham et vinrent demander à un vieil ami, un ancien trappeur, le père St-Jacques, une hospitalité que celui-ci ne pouvait refuser […].

Le sauvage et l’Irlandais sont partis ce matin pour Mattawan.

 

Le Canada (Montréal), 18 juin 1903.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS