«Le Gardeur de troupeaux»
Étrange personnage que ce cher Fernando Pessoa. Il s’est donné, par exemple, plusieurs noms d’auteur au cours de sa courte vie.
Il a traversé le monde tout en sensibilité.
Voici ici le dernier de ses 49 poèmes, une longue suite à laquelle il a donné le nom de Le Gardeur de troupeaux. Un texte, beau, qui dispose, je trouve, au repos.
Je rentre à la maison, je ferme la fenêtre.
On apporte la lampe, on me souhaite bonne nuit,
et d’une voix contente je réponds bonne nuit.
Plût au ciel que ma vie fût toujours cette chose :
le jour ensoleillé, ou suave de pluie,
ou bien tempétueux comme si le Monde allait finir,
la soirée douce et les groupes qui passent,
observés avec intérêt de la fenêtre,
le dernier coup d’œil amical jeté sur les arbres en paix,
et puis, fermée la fenêtre et la lampe allumée,
sans rien lire, sans penser à rien, sans dormir,
sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit,
et au-dehors un grand silence ainsi qu’un dieu qui dort.