Retour sur les enfants, l’été
Vous vous souvenez que le docteur Louis Laberge, directeur du Bureau d’hygiène de la ville de Montréal, avait entrepris, dès la fin du 19e siècle, des recherches sur les causes de l’augmentation des décès des marmots, l’été, en ville. Fidèle, il poursuivra son travail. Le 30 juillet 1906, le journal La Presse, dans un article intitulé Pour les tout petits, lui donne la parole. Voilà bien de nouvelles pistes annonciatrices de changement.
Le Dr. L. Laberge, médecin en chef du service municipal d’hygiène, croit que la législature devrait adopter une loi punissant toute mère qui ne nourrit pas son enfant, comme le veut la nature, à moins qu’elle prouve qu’elle ne le peut pas. La France a une loi analogue, la loi Roussel, et nous ne devrions pas, dit le Dr Laberge, attendre que nous en ayions besoin, pour l’avoir nous aussi.
Il répète de nouveau que la question du lait est la plus importante et qu’on ne prend pas assez soin du lait. Le lait est exposé au soleil avant d’être mis sur les trains; dans les trains, on le laisse exposé au soleil à l’arrivée à Montréal; on le transporte dans des voitures découvertes, les laitiers le laissent parfois des heures dans une étable, ils n’ont pas de glace pour le conserver, les ménagères en prennent rarement le soin voulu, tout cela à part des précautions les plus élémentaires en fait de propreté et qu’on ignore bien souvent.
Comment veut-on après cela que le lait qu’on donne aux enfants ne soit pas détérioré et dangereux ? Le docteur Laberge constate aussi qu’il y a d’autres causes d’empoisonnement pour les enfants et il se propose d’entreprendre une campagne contre certains bonbons de provenance principalement américaine, contenant de l’acide sulfurique.
Il y a aussi certaines conserves à Chicago et d’ailleurs qu’on fait manger aux enfants, ainsi que certaines médecines et drogues. On s’étonne après cela qu’environ 70 p. c. de la mortalité de la ville se trouve chez les enfants !
Le docteur Laberge ajoute enfin qu’il a, dans le passé, demandé l’aide d’une de nos principales associations de bienfaisance et il insiste pour qu’un mouvement soit commencé incessamment ayant pour but de procurer du lait pur aux enfants pauvres, de l’air pur et des mets non empoisonnés. Il considère que les gouvernements feraient mieux de sacrifier quelques milliers de dollars pour sauver la vie à ces petits êtres, nés Canadiens, plutôt que de toujours songer à nous emmener des colons étrangers.
L’immigration est certes nécessaire pour un jeune pays comme le nôtre, mais il faudrait aussi empêcher nos enfants d’émigrer au cimetière.
Ce Laberge est un véritable pionnier. J’ignore tout de cette histoire de bonbons ou de conserves empoisonnés, mais, pour le lait, ce médecin a tout à fait raison. Déjà, en France, le grand Louis Pasteur, une vingtaine d’années auparavant, avait averti qu’un lait de vache mal conservé devenait mortel en dedans de 36 heures. À Québec, c’est le temps qu’on mettra à apporter le lait de La Durantaye, une paroisse laitière à 30 minutes de la ville, sur la table de la ménagère du quartier Saint-Sauveur, ce lait voyageant en plein soleil dans des voitures tirées par des chevaux. Dès lors, la mère de ce quartier populaire, qui cessait d’allaiter son enfant pour le mettre au lait de vache, lui donnait tout ce qu’il fallait, sans même l’imaginer, bien sûr, pour qu’il soit emporté rapidement par la dysenterie. Bientôt, nous n’aurons plus le choix, il faudra accepter la pasteurisation du lait et nous donner des moyens de bien le conserver. La glacière domestique est déjà là en 1900, le frigo, lui, apparaîtra durant les années 1920.
La vache à l’herbe ci-haut, qu’on dirait un véritable jouet pour enfant, est une création du sculpteur Émile Bluteau, de Wickham.
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