Célébration de la bouteille
Aujourd’hui, nos bouteilles vides gagnent le bac de recyclage. Autrefois, dans les villes, un marchand ambulant passait les cueillir et trouvait par la suite à les vendre. Le quotidien montréalais La Patrie du 7 novembre 1903 célèbre la bouteille.
Le marchand de bouteilles est un homme d’affaires et il saura bien vous trouver quand vous aurez quelque chose à lui vendre. Il connaît ça les bouteilles et il est malin comme un diable. Il sait de suite si vous voulez faire un marché avec lui, si vous connaissez bien les prix… Il vous offrira le moins possible, c’est son intérêt. Il est toujours pressé.
«Acceptez-vous 7 sous, 9 sous ? Non ! Bonjour !» Dites-vous oui, c’est l’affaire d’une minute, les sacs se sortent et se remplissent comme par enchantement. Eussiez-vous des bouteilles plein la cave ou plein le grenier, il vous débarrasse du tout en un instant.
Il va ainsi toute la journée poussant sa petite charrette devant lui de rue en rue. Le soir, une fois chez lui, le marchand met les bouteilles en ordre. Les rayons se couvrent rapidement de bouteilles rangées selon leur taille; ici, les bouteilles noires, là les bouteilles blanches, plus loin les grandes bouteilles, de l‘autre côté, les petites bouteilles, et, enfin, au fond, les bouteilles de rebut qui ne peuvent être classées et qui sont jetées au hasard dans un coin, pêle-mêle, sans cérémonie. Dans ce tas, l’on aperçoit des bouteilles de toutes sortes et de toutes formes et cette vue fait naître mille réflexions et rappelle mille souvenirs.
De gentilles bouteilles à parfum, qui ont fait les délices de mille élégantes, gisent maintenant dédaignées à côté d’une vulgaire bouteille à gin….. Et qui sait si la jeune fille à qui a appartenu cette bouteille de parfum n’a pas été un jour la voisine au théâtre, au bal, dans le monde, de celui-là même qui a aidé à vider cette laide bouteille de gin……
Ce qui me fait penser au rôle important que joue la bouteille dans la vie. Je parie, chers lecteurs, que vous ne vous en êtes jamais inquiétés. Et pourtant, la bouteille, c’est la vie. C’est aussi la mort, me dites-vous. Avec la bouteille, l’ivrogne tue son intelligence, L’assassin empoisonne sa victime, le désespéré s’envoie dans l’autre monde. Mais prenons les choses par le côté gai, si vous voulez bien. Passons la bouteille à la ronde, et causons. […]
Bébé a grandi, la bouteille de lait est oubliée, mais il a eu sa bouteille de gouttes quand il a fait ses dents, sa bouteille de vaseline quand il s’est coupé avec son petit canif, sa bouteille d’encre quand il est devenu écolier, sa bouteille de parfum (le coquet !) à son premier amour, sa bouteille de vin (le débauché !) à son premier dîner d’étudiant, ses bouteilles de champagnes (et les autres) à ses fiançailles et à son mariage, et depuis, oh ! depuis, toutes les bouteilles y ont passé.
Soyez ce que vous voudrez, appartenez à n’importe quelle classe de la société, placez-vous dans n’importe quelle circonstance de la vie, en voyage ou à la maison, en affaires ou en plaisir, il n’y a pas à dire, la bouteille est là. […]
Mon ami, qui est un malin, a commis l’indiscrétion de me raconter qu’un de ses amis un soir qu’il revenait d’une excursion au clair de lune (je parie que l’homme dans la lune a une bouteille lui aussi) et qu’il avait fait des caresses répétées à la «vieille connaissance», a aperçu tout à coup, en arrivant près de l’Hôtel de Ville l’immense bouteille kiosque de la Place Jacques-Cartier qui dansait une ronde infernale avec toutes sortes de bouteilles ! Croyez-vous cela ?
«L’amie des journalistes» en a vu bien d’autres.
Et la bouteille d’encre du caricaturiste, donc !
Toutes ces illustrations accompagnent l’article de La Patrie.