Retour sur l’âne
Peut-être vous souvenez-vous ? Au début de novembre, nous convoquions Buffon pour nous parler de l’âne, lui qui aimait tellement cette bête.
Cette fois-ci, nous allons dans l’œuvre, majeure, de l’ethnologue Robert-Lionel Séguin, La civilisation traditionnelle de l’«habitant» aux 17e et 18e siècles (Montréal et Paris, Fides, 1967). Qu’en dit-il ? Extraits.
Une première trace de leur présence nous vient de l’Acadie. Au cours de pérégrinations, le Récollet Denis Jamet écrit le 25 août 1620 : «Nous avons amené un âne et une ânesse pour notre commodité…» Il faudra attendre une quinzaine d’années avant d’en trouver en Nouvelle-France, où, en 1634, le Jésuite Le Jeune en fait venir quelques-uns qui rendent déjà d’appréciables services. Vers le même temps, Sagard aperçoit une «ânesse qui avait perdu son ânon».
La pauvre bête, selon le narrateur, «vivait vagabonde parmi les bois tout l’été, tantôt vers Québec, puis vers notre couvent, sans avoir de retraite, qu’au fort des neiges, que nos religieux la resserraient dans une petite étable». Il s’agit sûrement d’un des animaux que Le Jeune avait amenés d’Europe quelques années auparavant.
D’après le recensement général de 1681, il y a moins d’une dizaine d’ânes et ânesses en Nouvelle-France. […]
Deux ans plus tard, le nombre des bêtes asines monte à quinze têtes, mais il décroîtra graduellement par la suite. En avril 1699, signalons pourtant la présence d’«une Bourrique» chez un habitant de Longueuil du nom d’André Haschin dit Saint-André.
Au XVIIIe siècle, nouvelle tentative d’élevage d’ânes qui se soldera par un échec, comme précédemment. On en importe de France pour fins médicales et curatives, car le lait d’ânesse est prescrit à ceux qui souffrent de maux d’estomac. Le 6 novembre 1720, Vaudreuil et Bégon informent les membres du Conseil de Marine que «Le sieur [Michel] Sarrazin [un important médecin] leur a représenté aussi qu’il y a dans la Nouvelle-France un grand nombre de personnes souffrant de maux de poitrine; comme le lait d’ânesse est le meilleur remède contre ces maladies, il demande s’il ne serait pas possible d’envoyer quelques-uns de ces animaux sur les prochains vaisseaux du roi. On priera M. de Beauharnois de faire parvenir en Canada un âne et trois ânesses.»
Le roi acquiesce à sa demande. Le 8 juin 1721, un mémoire, provenant de Paris, apprend à Vaudreuil et Bégon l’arrivée prochaine, en Canada, du bétail précité. Six jours plus tard, les conseillers de la Marine demandent à «M. de Beauharnois, à Rochefort, d’expédier au Canada quatre bêtes asines; le lait de ces animaux étant nécessaire pour le soulagement des personnes atteintes du mal de poitrine». […]
En Nouvelle-France, ce bétail n’a pas toujours l’alimentation qui lui convient. Il faudrait corriger cette lacune pour éviter tout danger de mort, car les ânes deviennent de plus en plus rares et leur prix monte en flèche.
Un billet, écrit à Versailles le 6 juin 1724, est adressé à Vaudreuil pour lui apprendre qu’on «Envoie par le Chameau un baudet pour remplacer celui qui est mort à Québec, avec un mémoire sur la manière de le nourrir et le rendre utile. Ces animaux, de l’espèce qui convient, ajoute le scribe, deviennent rares et chers».
Que deviendront nos ânes canadiens ? Nul n’en sait rien, car, après cette date, il n’en est pratiquement plus question.
N’ayant pas le clavier pour écrire en vieux français, nous y sommes allé ici en français moderne.