Le loup-garou venu de France, et bien chez nous (deuxième billet de deux)
Hier, nous étions à terminer une fête pour les fiancés Catherine Miquelon et Misaël Longneau. Mais où était donc passé Misaël à minuit ? Les hommes étaient partis le chercher à l’extérieur. La future mariée commençait à franchement s’inquiéter. Vous pouvez retrouver le début de ce récit ici même. Puis nous poursuivons.
Quand deux heures sonnèrent, la plupart des hommes étaient rentrés. Ils causaient à voix basse, comme auprès d’un mourant. Tout à coup, la porte s’ouvrit et le marié parut. Il était livide. Cependant ses yeux étincelaient encore. Du sang coulait le long de son bras, et tombait goutte à goutte au bout de ses doigts glacés.
Firmin le suivait, presque blême, et l’air hébété d’un homme qui ne sait s’il dort ou s’il veille, s’il a fait un rêve affreux ou un acte atroce.
— D’où viens-tu, Misaël ? Que t’est-il donc arrivé ? demanda le garçon d’honneur.
Il expliqua assez gauchement qu’il avait éprouvé un singulier malaise tout à coup, et qu’il était sorti, pensant bien que l’air froid le remettrait… qu’il était tombé sur la glace et s’était fait une blessure à l’épaule… Il avait marché sans savoir où il allait, ayant probablement perdu connaissance…
Firmin le regardait avec de grands yeux animés. Il aurait bien voulu parler, c’était visible; et il laissait voir qu’il en connaissait long, par ses signes de tête et ses haussements d’épaules. Cependant il ne dit rien. La blessure fut pansée. On aurait dit un coup de couteau. Il y a des glaçons qui tranchent ou percent comme un poignard.
La gaieté revint. On but une dernière rasade, et, le lendemain matin, la cloche carillonna l’heureux mariage de Catherine avec Misaël.
— Et le loup-garou ?
— Attendez une minute.
Avant la messe, Misaël entra au confessionnal. Il y resta longtemps. Firmin recommença ses gestes et ses signes de la veille, mais avec une nuance approbative. Il ne dit pas un mot cependant, car il avait promis de ne point parler.
Or, voici ce qui était arrivé dans la nuit. Chacun cherchait de son côté le marié si étrangement disparu. Firmin pensa qu’il pouvait être allé à l’écurie où se trouvait son jeune cheval. Pourtant, nu-tête, ça n’avait guère de bon sens. N’importe, il s’y rendit. Comme il levait le crochet de fer qui tenait la porte fermée, il entendit marcher sur la neige, derrière lui. Il crut d’abord que c’était quelqu’un de la noce. Un autre pouvait avoir comme lui l’idée de venir ici.
Il se retourna. Une bête de la taille d’un gros chien, mais plus élancée, venait par le sentier qui reliait la grange à la maison. Elle était noire avec des yeux rouges; des yeux flamboyants qui éclairaient comme des lanternes. Il eut peur, tellement peur qu’il resta là, sans ouvrir, immobile, incapable de faire un pas.
L’animal s’avançait vers lui et le regardait. Il crut qu’il allait être dévoré. L’instinct de la conservation lui revint alors, il fit sauter le crochet de fer et se précipita dans l’écurie. La bête redoutable entra avec lui. Il fit le signe de la croix, tira son couteau de poche et s’apprêta à défendre sa vie. Il pensait bien que c’était un loup véritable.
L’animal se dressa, lui mit sans façon, sur ses épaules, ses pattes velues, et allongea pour le mordre ou le lécher son museau d’où s’exhalait un souffle brûlant. Le couteau atteignit l’épaule et fit couler le sang. Aussitôt le loup disparut, et un homme blessé à l’épaule surgit on ne sait d’où
— Vous m’avez délivré, merci, fit cet homme.
— Comment, Misaël, c’est vous ?
— Oh ! n’en dites rien, s’il vous plaît !
— Vous «courez» le loup-garou ? Mon Dieu ! qui aurait pensé cela ?… Il y a donc sept ans que vous n’avez pas fait vos pâques ?
— Sept ans; mais ne parlez pas de cela, je vous en prie. Je vais aller à la confesse demain matin et je serai bon chrétien à l’avenir.
— Le jurez-vous ?
— Je le jure !
— Je serai à l’église, et si vous ne tenez point votre parole, je dirai tout. Le mariage sera manqué.
— C’est entendu.
* * *
La voilà finie, cette histoire. Firmin, mon frère, n’a jamais soufflé mot de cela, et la chose n’a jamais été connue.
Les crédits ne sont pas rendus à la fin de ce conte. Mais, dans La Patrie du 11 mai 1907, Madeleine précise que l’écrit est extrait des Contes vrais de Pamphile Le May, l’illustration est d’Henri Julien.
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