Partir vivre à l’étranger n’est pas facile
Charles Puddy pourrait en témoigner. La Patrie du 21 avril 1909 raconte.
Charles Puddy n’est pas riche. Arrivé récemment de Londres pour faire fortune sur les rives du Saint-Laurent, il est découragé.
Le froid, l’indifférence des hommes, la rareté de l’ouvrage, tout lui fait prendre en grippe son séjour dans la colonie et il veut retourner au pays des lords, comme on disait au siècle dernier.
Préparant son retour sur un bateau à bœufs, il attend une date propice et, en attendant, il est l’hôte du refuge de nuit, tenu par M. William White, rue Craig Ouest; du moins, il en fut l’hôte samedi dernier.
Hier, il a couché au poste.
Ce matin, il est amené devant le recorder et White l’accuse d’avoir endommagé sa propriété en y brisant une vitre que, pour les fins de la cause, il évalue à dix piastres.
Puddy est amené. C’est un gringalet blond fade, l’air insignifiant, et peu débrouillard. Une large cicatrice coupe en deux son nez trop grand et cette blessure le fait nasiller en parlant, ce qui, ajouté à son accent de Londres, donne un charme tout spécial à sa conversation.
M. White déclare que l’homme est venu à son refuge, qu’il s’y est disputé avec le gardien de nuit et a cassé la vitre qui se trouvait sur la porte d’entrée. Il n’a rien vu, étant absent pour affaires de famille.
Puddy proteste de toutes ses forces et son nez trouve des accents émus pour déclarer que, loin d’être coupable, il est victime. Le gardien de nuit l’a chassé et l’a frappé à coups de bâton. À preuve, le nez fendu qu’il exhibe. C’est au cours de la lutte que la vitre s’est brisée.
Le gardien de nuit vient ! C’est un grand et gros gaillard, à la figure intelligente de garde-chiourme. Il raconte comment l’accusé est venu, samedi soir, accompagné d’un ami et, comment une dispute s’étant élevée entre les pensionnaires, il crut bon de mettre le prisonnier dehors. Il avoue avoir eu un bâton, mais jure ne s’en est jamais servi.
— À quoi donc sert ce bâton, demande le Recorder.
— Votre Honneur, c’est pour réveiller les pensionnaires, le matin.
Ce réveille-matin, nouveau modèle, fait réfléchir le tribunal qui demande des éclaircissements. Il est donc déclaré que les habitués de la maison ont en général le sommeil fort dur et que la douce persuasion d’une injonction verbale ne saurait suffire pour les tirer des bras de Morphée. De là le bâton.
Le matin, le gardien va de lit en lit et pousse doucement de la pointe de son bâton dans les côtes des dormeurs. Au bout de quatre ou cinq coups, ils sont debout et frais comme de petites roses.
Le Recorder devient de plus en plus pensif, à mesure que le système adopté par ce refuge (qui soit dit entre parenthèses n’a pas de licence) est dévoilé. Il acquitte Puddy et fait un sermon sérieux au gardien Ness sur l’inopportunité d’employer un bâton en certaines circonstances.
Et Puddy s’en va chercher un navire qui veuille bien le reconduire en Angleterre. Il emportera comme souvenir son nez cassé et une mauvaise opinion du Canada.