Le bûcher de la Saint-Jean
Dans quelques jours maintenant, nous élèverons le bûcher de la Saint-Jean. C’est là une bien ancienne célébration dans l’histoire de l’humanité.
De tout temps, le jour le plus long a été consacré à la vénération de la lumière, au culte du soleil, notre grand principe de vie. Les Perses, les Grecs, les Romains, les Gaulois, les Celtes fêtent le solstice d’été. Les Germains, les Slaves, les Lithuaniens, les Baltes et les Scandinaves également. C’est en quelque sorte la confirmation du principe de la régénération périodique du temps. Ces divers peuples célèbrent d’une même façon ce jour de fête en élevant des bûchers sur les hautes terres, les collines et les bords de mer.
À ses débuts, le christianisme ne reconnaît aucune fête particulière : toute fête est païenne. À partir du 4e siècle, quand l’Église commence à jouir d’une véritable audience populaire, elle cherche à substituer aux fêtes païennes des fêtes chrétiennes, car la fête est une réalité qu’elle ne peut nier. Le peuple aime les fêtes affirme Grégoire de Nazianze, docteur de l’Église. La célébration du soleil au solstice d’été devient alors la fête de la Saint-Jean.
Dorénavant, l’Église s’assure qu’un de ses représentants assiste aux réjouissances et que cette manifestation commémore l’œuvre de saint Jean-Baptiste. Le christianisme, prudent et habile, écrit l’historien québécois Benjamin Sulte, se basant par occasion sur les habitudes enracinées et les faisant tourner à son profit, ne heurtait point de front ce qui plaisait à l’élément populaire; il se contentait de lui imprimer son cachet religieux, ce qui le rendait doublement cher aux multitudes et relevait les anciennes coutumes en leur donnant un sens mystique.
Même si l’Église cherche très tôt à encadrer la fête de la lumière, de nombreuses pratiques dites païennes et rattachées à cette fête se perpétueront jusqu’à l’avènement de la civilisation industrielle. On retrouvera en Amérique du Nord plusieurs de ces coutumes apportées par les Européens. La plus ancienne mention connue touchant la Saint-Jean en Amérique provient de l’historien et poète Marc Lescarbot. Celui-ci raconte que le 23 juin 1606 le navire Jonas, transportant en Acadie des colons recrutés par Jean de Poutrincourt, se trouve sur les bancs de Terre-Neuve. Le point du jour venu, qui était la veille de la saint Jean-Baptiste, à bon jour bonne œuvre, ayant mis les voiles bas, nous passames la journée à la pêcherie des Moruës avec mille réjouissances & contentements, à cause des viandes freches que nous eumes tant qu’il pleut [. . . ] Sur le soir nous appareillames pour notre route poursuivre, après avoir fait bourdonner noz canons tant à cause de la fête de sainct Jean, que pour l’amour du Sieur de Poutrincourt qui porte le nom de ce sainct.
En 1636, un document fait pour la première fois allusion à une manifestation populaire la veille de la Saint-Jean dans la vallée du Saint-Laurent. Le jésuite Louis Lejeune raconte dans sa Relation que le 23 juin au soir, à Québec, à l’occasion de la Saint-Jean et à l’invitation du gouverneur Montmagny, il bénit le bûcher avant que celui-ci ne s’enflamme. On tire par la suite cinq coups de canons et deux ou trois salves de mousquet. Sporadiquement on fera mention que la Saint-Jean se fête en Nouvelle-France et il est raisonnable de croire que le bûcher de la Saint-Jean est dressé chaque année, à Québec, tout au moins.
Au 19e siècle, la description des pratiques de la Saint-Jean montre bien que les rites se sont perpétués. Durant la journée du 23 juin, souvent sur les ordres du seigneur, les habitants apportent du bois sur la grève, le long du fleuve, à l’endroit où on élève le bûcher. Parfois, comme à Saint-Jean-Port-Joli, on monte le bûcher sur la place publique devant l’église. À la brunante, la population s’assemble. À Saint-Jean de l’île d’Orléans, on s’y rend à cheval, les femmes, dit-on, en croupe derrière leur mari. Le curé consacre d’abord le bûcher. Bénissez, Seigneur, ce feu que, pleins de joie, nous allons allumer pour la nativité de saint Jean-Baptiste. Puis il y met le feu. La foule crie. Les miliciens font la salve. Le bois pétasse. Les flammes éclairent la nuit, l’excitation est à son comble. Partout, le long du fleuve, des feux se répondent de place en place. Tout le pays est en fête.
Et chacun ne regagnera son domicile qu’au moment où le bûcher ne sera plus que braises fumantes, ayant pris soin auparavant de se saisir d’un bout de bois calciné destiné à le préserver de la foudre.
En 1900, des communautés québécoises fêtent avec éclat la Saint-Jean, d’autres moins. À Joliette, par exemple, le 27 juin 1901, le journaliste de L’Étoile du Nord, déplore l’absence de fêtes à l’occasion de la Saint-Jean. C’est avec peine, écrit-il, que nous avons été obligés de laisser passer ce jour sans grandes démonstrations publiques d’honneur et d’hommage au glorieux patron du Canada, et sans évoquer, comme d’habitude, les souvenirs si chers à la nationalité canadienne française. Cependant la feuille d’érable était sur toutes les poitrines avec des rubans aux trois couleurs; et le soir la fanfare donna aux applaudissements de la foule qui entourait le kiosque tout illuminé un concert qui dura une heure. Des fusées furent lancées en assez grand nombre au milieu des joyeux « vivats », et l’on compris encore une fois que le Canadien est toujours patriote.
À Sorel, par ailleurs, la fête de la Saint-Jean attire de trois à quatre mille personnes par une température, dit-on, délicieuse. Dans la soirée, écrit le Courrier de Sorel, le 28 juin 1901, superbe feu d’artifice, illumination générale, procession de bateaux illuminés dans le port, sur le Richelieu et sur le Saint-Laurent. Le vapeur Hudson de la Cie Sincenne McNaughton était artistiquement illuminé, de même que le Frontenac et la Mouche-à-feu. L’Eureka a aussi lancé des flots de lumière sur la ville avec son Search Light, ce qui avait un très bel effet sur la verdure qui enveloppe nos principales rues. Plusieurs résidences privées étaient aussi très bien illuminées.
À Québec, les habitants du faubourg Saint-Jean, bordant la falaise, sont aux premières loges pour admirer tout au loin la fête de la Saint-Jean, célébrée, cette année-là, un dimanche. Le Journal Le Soleil écrit le 28 juin 1909 : Hier soir, les résidants du bas du faubourg ont joui, durant près de deux heures, du beau spectacle offert par les feux d’artifice tirés à Beauport et surtout à Limoilou. De ce dernier endroit surtout, on entendait presque distinctement les chants patriotiques de l’immense foule rassemblée. Pour de plus amples détails sur les manières de fêter la Saint-Jean chez nous, on peut s’en remettre à mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent.
C’est passionnant! On s’y croirait! Et hop sur twitter! :-)
Merci beaucoup, chère Mija.