Une tempête mémorable sur la Côte-du-Sud
Les Québécoises, les Québécois ont vu neiger. Il n’est pas exagéré de dire qu’un jour, il serait tout à fait de mise de proposer une anthologie des grandes tempêtes de neige de cette contrée au nord-est de l’Amérique du Nord.
Celle-ci, par exemple, tout à fait digne d’apparaître dans un pareil recueil, devait éprouver pendant plusieurs jours les populations de la Côte-du-Sud, en aval de Lévis.
Le 8 janvier 1884, le quotidien de Québec Le Canadien y va de ce texte:
Un correspondant de Ste-Anne de la Pocatière nous écrit ce qui suit au sujet de la tempête de neige de la semaine dernière.
Avant Noël, il n’y avait pas encore de neige; on se servait de voitures d’été. Depuis ce jour, il est tombé quatre pieds de neige au moins. La dernière bordée a commencé le jour de l’an au matin et n’a cessé que le vendredi soir [le 4 janvier]. La neige était chassée par un vent des plus violents.
Au moment même où je vous écris, le vent est tellement violent que la neige nous aveugle et qu’il nous est impossible de voir la maison du voisin. Les chemins sont littéralement remplis de neige. En plusieurs endroits, on ne voit plus de clôtures. Pas une voiture n’ose s’aventurer dans les routes. La circulation est complètement interrompue.
Les gens voyagent mais irrégulièrement avec un retard de plusieurs heures; ils restent quelquefois bloqués au milieu d’un champ, c’est ce qui nous est arrivé en descendant à St-Jean Port-Joli où nous sommes restés deux longues heures ensevelis dans la neige au milieu de la nuit. Les personnes qui sont forcées d’aller au village ou à la station font le trajet en raquette.
C’est inutile d’ouvrir les chemins; la poudrerie les remplit aussitôt. Du reste, les chevaux en ont par-dessus le dos en plusieurs endroits. Les vieux disent qu’ils ont rarement vu une tempête de neige aussi effrayante et d’une aussi longue durée. Les pauvres sont bien à plaindre. Pas d’ouvrage, pas de pain par conséquent et pas de bois.
Ce que je dis de Ste-Anne peut s’appliquer à tout le district de Kamouraska et à d’autres districts, car la tempête a été générale.
Le lendemain, Le Canadien insiste :
Un de nos collaborateurs est arrivé hier d’un voyage dans le comté de Kamouraska et confirme les nouvelles données par un de nos correspondants à Ste-Anne de la Pocatière, sur la tempête qui vient de sévir sur cette partie du pays.
Cette tempête de neige et de vent fera époque dans l’histoire des paroisses du bas du fleuve. Les anciens disent que, dans leur temps, il leur arrivait de ne pouvoir visiter leur voisin, pendant une huitaine et quelquefois une quinzaine. Les modernes pensent se vanter d’avoir été les témoins d’un tel spectacle. Car depuis Noël jusqu’au 8 janvier, les communications entre voisins ont été littéralement interrompues par la neige et la violence du vent. Les voies publiques étaient remplies.
Pendant cette tempête effrayante, le service des malles entre les bureaux de poste et le chemin de fer Intercolonial s’est fait par des piétons armés de longues raquettes. […]
Le bois de chauffage est rare dans certaines paroisses. Il n’y avait pas de chemin d’hiver avant la fête de Noël; par conséquent impossibilité d’aller dans la forêt. Depuis Noël, il n’y a pas eu de chemin non plus, parce que la neige est tombée en trop grande abondance. Plusieurs familles se trouvent sans bois de chauffage, et certes leur position est bien triste, quand on considère la température que nous avons depuis quelques jours. Des personnes charitables s’empressent de secourir les nécessiteux.
Dans quelques familles, il n’y a pas que le bois qui fasse défaut; on manque aussi de pain. Par suite de ce temps affreux, l’ouvrage est devenu extrêmement rare. Généralement à l’approche de l’hiver, la classe ouvrière des campagnes trouve toujours à faire chez le cultivateur à l’aise; le bûcheron, entre autre, se tirait d’affaires passablement bien; mais, cette année, l’absence de neige dans les bois a produit un manque d’ouvrage qui a été désastreux pour un grand nombre. […]
Dans quelques paroisses, on a été forcé de retarder des funérailles de deux ou trois jours, à cause du mauvais état des chemins, que l’on ne pouvait parcourir en voitures. Le plus souvent, la traîne canadienne remplaçait le char funèbre pour le transport des restes mortels.
Le 18 janvier 1884, la situation ne s’est guère améliorée, à L’Anse-à-Gilles à tout le moins. Le Canadien écrit : On mande de l’Anse à Gilles [entre Cap-Saint-Ignace et L’Islet] que les chemins sont toujours impraticables, qu’il fait très froid et qu’il est impossible d’aller au bois.
La gravure ci-haut provient du journal montréalais Le Monde illustré du 26 janvier 1889. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Tempêtes».
1884… Ce fut un « vrai de vrai » hiver !(venant de lire votre publication sur le pont de glace Lévis-Québec…)
Me revient en tête un hiver(63-64 environ) ressemblant à celui de votre récit, où mon père dû effectuer un séjour chez un client pour un projet de sculpture. Parti pour Lotbinière le 26 décembre, en « canots » de caoutchouc, après un Noël « sur la terre », il en revint le 31 décembre, de la neige au genou…
Ouf !