Grave épidémie en Montérégie !
Au printemps de 1899, pour une deuxième année d’affilée, une grande épidémie de chenilles frappe la Montérégie, une région du Québec au sud du fleuve Saint-Laurent, reconnue pour sa culture fruitière. L’heure est aux chenilles. Le correspondant du journal La Patrie couvre l’événement. Suivons-le.
Le samedi, 13 mai, première nouvelle, venue de la paroisse de Saint-Hilaire. Il y a beaucoup de chenilles ici ce printemps, les vergers en sont sérieusement menacés. Mardi dernier, on a fait des processions dans les parties de la paroisse les plus exposées à ce fléau terrible qui, l’an dernier, a presque ruiné la récolte de pommes.
Le 18 mai, voilà la bête à L’Ange-Gardien de Rouville. Les chenilles sont à l’état de fléau ici et dans les montagnes voisines. À Rougemont et à Saint-Paul, on a fait des processions pour les conjurer. Un grand nombre de vergers sont ruinés et les dommages se chiffrent à plusieurs milliers de dollars pour le district environnant.
Le 19 mai, la population de Saint-Hilaire ne perd pas courage. Malgré les froides journées que nous avons depuis quelque temps, les pommiers sont en fleurs, et, d’après l’apparence, si l’on parvient à enrayer le fléau qui menace les vergers, la récolte de pommes sera abondante cette année.
Le même jour, l’insecte est à Vaudreuil. Les chenilles continuent à faire beaucoup de ravages dans la localité malgré tous les procédés qu’on emploie pour arriver à enrayer le fléau. Elles menacent de tout détruire dans le comté, jamais on en a vu autant.
Le 30 mai, retour à L’Ange-Gardien de Rouville. Les cultivateurs se plaignent beaucoup des dommages causés par les chenilles aux arbres fruitiers. En effet, on n’en a jamais constaté un si grand nombre que cette année.
Le 10 juin, cette fois-ci, les chenilles sont à Knowlton. Les chenilles font beaucoup de ravages dans les environs. Elles ne s’attaquent pas seulement aux arbres fruitiers, mais aussi aux arbres d’ornement, et l’on craint beaucoup qu’elles ne dépouillent ces derniers de leur superbe feuillage.
Le même jour, à Warwick, si nombreuses, elles semblent même gagner les habitations. Les chenilles sont légion ici; après avoir fait leurs déprédations dans les vergers, voilà qu’elles menacent d’envahir les maisons.
Et puis on n’en reparle plus. Quelle est donc cette larve qui est l’objet de toutes les préoccupations dans cette région du Québec ? Serait-ce la chenille à tente, celle qui se tient en colonies pour tisser dans les arbres des tentes communautaires en soie, qui lui serviront d’abris et surtout d’endroits pour muer ? Pourtant, le journaliste ne parle jamais de tentes ou de nids. Simple amateur de la vie des insectes, j’ai la chance de m’en remettre à un ami, Jean-Pierre Bourassa, biologiste, professeur d’entomologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières, directeur de l’Insectarium de Montréal en 1989-1990.
Bonjour Jean, m’écrit-il,
Par des contacts avec des collègues, notamment du ministère de l’Agriculture du Canada situé à Saint-Jean-sur-Richelieu, il n’a pas été possible de trouver une réponse précise sur la nature des chenilles rencontrées dans les vergers de Montérégie en 1899. Toutefois, dans mes documents plutôt anciens (eh! oui, je suis porté à conserver de tels écrits), je pense avoir trouvé réponse ou confirmation de ce que tu avançais comme chenilles. Selon le Chanoine Huard, dans sa publication de 1927, il s’agirait de la chenille à tente d’Amérique (Malacosoma americana) qu’il mentionne comme étant bien présente dans le sud du Québec et très nuisible en attaquant les feuillages des arbres fruitiers, entre autres ceux des pommiers et cerisiers, ainsi que d’arbres ornementaux. Les œufs de l’espèce éclosent au printemps et les larves qui en sortent profitent des nouveaux feuillages disponibles pour s’en nourrir et se développer.
Selon la lecture que je fais de ce document et aussi de l’histoire plus récente de cette espèce au Québec, je demeure persuadé qu’il s’agit de la même qui a causé les dommages enregistrés à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Je trouve étrange qu’on ne parle pas des nids ou tentes réalisées par ces insectes. La seule autre espèce de papillon rapportée par Huard et qui se développait aussi au printemps et s’attaquait à de nombreux arbres (dans ce cas, Huard ne parle pas des types d’arbres) est la chenille à houppes blanches (Hemerocampa leucostigma); mais, je doute qu’il s’agissait de cette espèce, cette dernière ne semblant pas, tel que le mentionne Huard, causer autant de problèmes que ceux engendrés par la chenille à tente.
La référence du document que je possède est: Manuel théorique et pratique d’entomologie par Chanoine V.-A. Huard, de la Société royale du Canada et directeur du Naturaliste canadien; document édité à Québec (2 rue Richelieu), 1927, 164 pages.
Mes collègues de Saint-Jean-sur-Richelieu me signalent qu’entre autres, les problèmes engendrés par les insectes au cours de ces années auraient conduit les autorités fédérales à mettre sur pied quelques années plus tard, la station de recherches de Saint-Jean.
Espérant que ces informations te seront utiles. Si tu as d’autres questions ou informations sur les insectes au cours de l’histoire, n’hésite pas à m’en faire part. Pour mon prochain livre, je me suis trouvé une passion à rechercher des anecdotes sur les insectes traités et leurs influences sur l’histoire humaine.
Merci, cher Jean-Pierre, de ta générosité. Nous en profitons tous maintenant. Tiens-moi au courant de ton prochain livre, j’en ferai écho dans ce site. Parlant calamité, tu me fais penser qu’en 1923, du mois de mai à la fin de juillet, de grandes étendues de forêt brûlent dans l’ensemble des régions du Québec, ce qui pousse notre gouvernement québécois, l’année suivante, à fonder l’École des gardes forestiers, à Berthier, et à mettre sur pied le Service de protection des forêts. Une histoire un brin semblable à celle de cette petite chenille de rien qui a conduit à la création de la station de recherches de Saint-Jean.
Photographie de Jean-Pierre Bourassa: Claude Demers, Université du Québec à Trois-Rivières. Source de l’illustration ancienne: Gustave Chagnon, Les chenilles à tente, Société canadienne d’histoire naturelle, Bibliothèque des jeunes naturalistes, tract no 16, 15 avril 1936, p. 3. On trouvera ce travail de Chagnon à cette adresse: http://www.jeunesnaturalistes.org/test/tracts/16.htm