Le grand tremblement de terre de 1663
Le 12 avril 1889, l’hebdomadaire La Tribune, de Saint-Hyacinthe, reprend un article paru quatre jours plus tôt dans Le Courrier du Canada sur le grand tremblement de terre de 1663. Encore aujourd’hui, on croit que ce fut, de mémoire d’homme, le plus grand tremblement de terre dans la vallée du Saint-Laurent. Selon l’auteur de cet écrit, Eugène Renault, c’était là l’œuvre de La Providence qui voulait punir les habitants de la Nouvelle-France s’entêtant à donner de l’eau-de-vie aux Amérindiens. Extraits.
Le lundi gras au soir, pendant que s’organisaient les bacchanales du lendemain, une épouvantable détonation souterraine se fit entendre dans toute la Nouvelle-France et, immédiatement après, la terre se mit à trembler avec une telle violence que tout le monde, Français et Sauvages, crut que les derniers temps étaient arrivés. Dans tous les centres, les églises et chapelles se remplirent en un clin d’œil d’une foule affolée et les confessionnaux furent partout littéralement assiégés. […]
Pour avoir une idée exacte des proportions que prit ce terrible cataclysme, il faut lire les intéressantes pages que lui consacrent les «Relations des Jésuites». Je glane dans ces pages les renseignements suivants :
«Un tremblement de terre de plus de deux cent lieues en longueur et de cent en largeur, qui font en tout vingt mille lieues, a fait trembler tout ce pays où l’on a vu des changements prodigieux : des montagnes abîmées, des forêts changées en de grands lacs, des rivières qui ont disparu, des rochers qui se sont fendus, dont les débris étaient poussés jusqu’au sommet des plus hauts arbres; des tonnerres qui grondaient sous nos pieds, dans le ventre de la terre, qui vomissait des flammes; des voix lugubres qui s’entendaient avec horreur; des baleines blanches et marsouins qui hurlaient dans les eaux. Enfin, tous les éléments semblaient être armés contre nous et nous menaçaient d’un dernier malheur. […]
«Ce fut le 5 février 1663, sur les cinq heures et demie du soir qu’un grand bruissement s’entendit en même temps dans toute l’étendue du Canada. Ce bruit, qui paraissait comme si le feu eut été dans les maisons, en fit sortir tout le monde pour fuir un incendie si inopiné; mais au lieu de voir la fumée et la flamme, on fut bien surpris de voir les murailles se balancer et toutes les pierres se remuer comme si elles se fussent détachées. […]
«Alors, chacun sort, les animaux s’enfuient, les enfants pleurent dans les rues, les hommes et les femmes saisis de frayeur ne savent où se réfugier, pensant à tout moment devoir être, ou accablés sous les ruines des maisons, ou ensevelis dans quelque abîme qui s’allait s’ouvrir sous leurs pieds. Les uns, prosternés à genoux dans la neige, crient miséricorde; les autres passent le reste de la nuit en prière, parce que le tremblement de terre continue toujours avec un certain branle presque semblable à celui des navires qui sont sur mer, et tels que quelques-uns ont ressenti par ces secousses les mêmes soulèvements de cœur qu’ils enduraient sur l’eau.
«Le désordre était bien plus grand dans les forêts; il semblait qu’il y eut combat entre les arbres qui se heurtaient ensemble; et non seulement leurs branches, mais même on eut dit que leurs troncs se détachaient de leurs places pour sauter les uns sur les autres avec un fracas et un bouleversement qui fit dire à nos Sauvages que toute la forêt était ivre… […]
«Pendant ce débris général qui se faisait sur la terre, les glaces épaisses de cinq à six pieds se fracassaient, sautant en morceaux et s’ouvrant en divers endroits d’où s’évaporaient ou de grosses fumées, ou des jets de boue et de sable qui montaient fort haut dans l’air. […] Et notre grand fleuve St-Laurent parut tout blanchâtre jusque vers Tadoussac, prodige bien étonnant et capable de surprendre ceux qui savent la quantité d’eau que ce gros fleuve roule au-dessous de l’île d’Orléans et ce qu’il fallait de matière pour les blanchir. […]
«L’on a vu des piques et des langues de feu voltiger et des brandons allumés se glisser sur nos maisons, sans néanmoins faire autre mal que de jeter la frayeur partout où ils paraissaient; on entendait même comme des voix plaintives et languissantes se lamenter pendant le silence de la nuit; et, ce qui est bien rare, des marsouins blancs jeter de hauts cris devant le bourg de Trois-Rivières, faisant retentir l’air de meuglements pitoyables; et soient que ce fussent de vrais marsouins, ou des vaches marines, comme quelques-uns l’ont estimé, une chose si extraordinaire ne pouvait pas arriver d’une chose commune.»
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