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Direction Saint-Raymond… avec un amour

Dans l’hebdomadaire Le Monde illustré du 3 septembre 1887, celui qui signe Touriste nous entretient de Saint-Raymond. Ma mère, native de l’endroit, s’empressait toujours de rajouter «comté de Portneuf». Je n’ai jamais trop su pourquoi, d’autant plus que les Saint-Raymond ne fourmillent pas au Québec. Mais voilà, c’est ainsi. Allons-y avec notre Touriste. Il faut savoir que Saint-Raymond est depuis peu bien desservi par le train.

Quiconque se trouve à la gare du chemin de fer du Lac-Saint-Jean, à Québec à 5 ½ heures de relevée, y peut remarquer les samedis, surtout, une animation inusitée. C’est qu’à ce moment du jour, nombre de citadins, voulant échapper à la chaleur suffocante de la ville, aux miasmes délétères et à l’air vicié de ses rues, sont bien aises de profiter du convoi que la compagnie met à leur disposition pour aller respirer pendant quelques heures l’air de la campagne.

Les chars, d’ordinaire, regorgent de passagers. Les dames d’abord, et les personnes dont le rang ou l’âge est un titre à notre respect, occupent les sièges, tandis que les jeunes gens se placent un peu partout : sur les sièges quand il en reste, sinon dans les espaces libres.

Tout ce monde se dirige vers l’Ancienne Lorette, Charlesbourg, Val Cartier, le Lac Saint-Joseph, Bourg-Louis, et Saint-Raymond, joli village situé à une trentaine de milles de Québec.

Tous ces endroits avoisinent la chaîne des Laurentides, sont remarquables par la beauté de leur position, par l’air pur qui y règne, et ont l’avantage de se trouver à proximité de Québec. Enfin, tout est à souhait : on part quand les affaires sont terminées, et on revient le lendemain au moment voulu pour commencer sa journée.

Continuellement, le long de la voie ferrée, de Québec à Saint-Raymond, et même jusqu’au lac Édouard où l’on peut se rendre maintenant, notre attention est constamment tenue en éveil par la vue des paysages d’une nature riche et naguère inconnue. Partout on voit se réaliser la puissance créatrice d’un chemin de fer traversant un pays nouveau, mais propre à la colonisation. […]

* * *

Mais l’endroit le plus fréquenté, les plus pittoresque que traverse le chemin de fer, est bien Saint-Raymond.

Ce village a pris l’importance d’un chef-lieu, d’un bourg considérable, depuis quelques années, c’est-à-dire depuis la construction du chemin de fer, et je ne doute pas qu’il ait la prétention légitime de s’élever bientôt au rang de ville.

La nature d’ailleurs s’y prête admirablement à en rendre le séjour agréable. Saint-Raymond est situé à l’entrée même des Laurentides, dans une charmante vallée que baigne, en méandres capricieux, la rivière Sainte-Anne. Les collines, des côtés nord et ouest, s’élèvent graduellement en amphithéâtre, sur les degrés duquel sont construites de jolies maisons; des hauteurs des côtés sud et est, d’où l’œil domine toute la vallée, vous contemplez le plus beau panorama qui se puisse imaginer. Ça et là, sur les bords de la rivière, sont des arbres gigantesques formant autant de frais bocages.

Il y a quelques années, mais l’événement se représente à mon esprit comme s’il venait de se passer, tant le souvenir des scènes heureuses de notre jeunesse est vivace; il y a quelques années, dis-je, par une belle après-midi [sic] de juillet, nous étions allés faire une promenade en canot sur la rivière. Je dis nous, car j’avais le plaisir d’accompagner une jeune personne dont l’amitié m‘était chère.

À ce moment du jour, le soleil s’inclinait à l’horizon, et revêtait tous les objets d’une teinte douce et rêveuse. Tous les êtres, toutes les voix de la nature semblaient chanter un hymne de reconnaissance au Créateur. Un souffle léger ridait à peine la surface des eaux. Nous remontions doucement le cours de la rivière jusqu’à un endroit où le remous d’une petite cascade se faisant sentir, nous abandonnions notre canot à la dérive, tout comme les pensées, les impressions de nos esprits recueillis.

Je goûtais le charme de sentiments profonds qu’inspire le spectacle d’une belle nature. La physionomie intelligente, douce et sympathique de ma jeune compagne, la grâce et la noblesse de sa personne me pénétraient de respect et d’un religieux dévouement; je pouvais bien répéter, en les appliquant, ces paroles d’un poète anglais :

There’s in you all that we believe of heaven.

Les derniers feux du soleil, inondant la vallée de lumière, faisaient ressortir, comme un rayon de gloire, l’éclat de ses beaux cheveux blonds.

Quand le cœur est encore jeune et susceptible d’enthousiasme, quand il croit encore à l’amitié et aux attachements profonds, comme il savoure avec délices ces heureux moments de la vie, ces moments de douce quiétude, où tout ce qu’il y a de beau et de bon sur la terre se confond en un idéal, en une vision dorée, que pourrait seul décrire celui qui posséderait la sensibilité et le talent d’un Virgile ou du poète de Vaucluse.

J’aurais voulu, comme autrefois l’heureux Josué, pouvoir arrêter le soleil dans sa course, sachant bien que celui-ci, que nous dérobaient déjà les sommets embrasés des Laurentides, allait bientôt, en éclairant d’autres cieux, changer les décors de cette scène.

Cher lecteur, un conseil pour finir. Si la chaleur du jour vous accable, et que vous vouliez laisser votre esprit se reposer par la vue de beaux paysages et de riantes scènes champêtres, quittez la ville, prenez le chemin de fer du Lac-Saint-Jean et allez à Saint-Raymond; si vous comparez la pâle description que j’en ai faite avec les émotions que vous fera éprouver la réalité, vous conviendrez sans doute, avec le philosophe Indien, que «Toutes les choses sont en germe dans les paroles.»

Québec, août 1887.

 

La photographie du magasin d’Émile Denis à Saint-Raymond, en 1910, provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal, Collection Félix Barrière, Épreuves noir et blanc, cote : P748, S1, P2809.

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