Connaissez-vous Albert Brie, l’écrivain et humoriste québécois né à Québec (1925-2015). Il a fait sa vie lui-même, autant à la radio, à la télé, et dans les journaux.
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Le voici ici dans le quotidien montréalais Le Devoir en 1983.
Je viens de lire que, de tous les gens du monde, les Canadiens sont ceux qui parlent le plus volontiers du temps qu’il fait.
J’entends de méchantes langues conclure que ce fait nous classe, qu’il est le signe que nous manquons d’imagination, d’originalité; ou encore que, méfiants, nous évitons d’aborder de but en blanc les sujets litigieux ou trop personnels.
C’est trop vite dit. La raison qui, à mon sens, explique notre bavardage intarissable sur la pluie et le beau temps, est d’ordre sociologique.
Lee experts en climatologie vous diront que nous vivons sous l’un des ciels les plus changeants et les plus excessifs qui se puissent voir. C’est sans doute le prix que nous payons pour habiter un territoire à l’abri des grands cataclysmes.
À force de questionner la météorologie, j’ai observé la récurrence, depuis le début de l’hiver, de cette prévision : « Ciel variable ». « Souvent ciel varie, bien fol qui s’y fie ! » soit dit en passant, pour pasticher Hugo. (…)
Qui s’est déjà employé à calculer les heures d’un journée requises pour composer avec le temps qu’il fait au cours d’une année ? Il en arriverait à un chiffre effarant. Et quatre fois par an, c’est à recommencer. on n’a pas le temps de se conditionner, de s’harmoniser aux impératifs de nos cieux éphémères, incertains, inconsistants. C’est comme en amour : tout passe, tout lasse, tout casse.
Comment voulez-vous qu’ayant à lutter avec un climat aussi dérangé, asymétrique, convulsif, on ne fasse pas du temps le grand sujet de notre conversation. Le chaud, le froid, la neige, la pluie, le gel à pierre fendre, la chaleur d’étuve, la chaussée glissante, les pannes de courant, les factures de vêtement, du chauffage, les mesures de défense contre les offensives des intempéries cycliques, etc… autant de traces, de désagréments, de mauvaises surprises qui sollicitent notre énergie, usent nos résistances, hypothèquent nos loisirs, grèvent nos ressources d’argent.
Impossible de ne pas être obsédé par le temps qu’il fait, qu’il fera et qu’il pourrait faire. Il est heureux qu’il en soit ainsi. Toute cette dépense de salive belliqueuse contre notre climat impossible est un dérivatif. Sans lui, ce serait la guerre civile.