Skip to content

Triste histoire pour nombre d’enfants

Le 20e siècle sera le siècle de l’enfant. Mais celui-ci est parti de bien loin. En effet, en 1900, les abandons d’enfants sont fort nombreux. C’est une misère ! Dans un article ayant justement pour titre «Les dessous de la misère à Montréal», le quotidien La Patrie du 4 décembre 1895 espère sans doute une grande réflexion à ce sujet. Sous-titré «Cela coûte plus de $15,000 pour élever les enfants abandonnés. C’est la ville qui paie, malgré qu’elle n’y soit pas obligée», le texte va ainsi :

Tous les jours, depuis quelque temps, les bureaux du maire et le greffe du recorder [celui-ci est le juge de la Cour municipale] sont assiégés par des gens qui viennent de tous côtés pour demander d’envoyer leurs enfants à l’école d’Industrie.

Pas plus tard qu’hier encore, un citoyen de la rue Craig, barbier, venait porter un jeune enfant de 9 ans chez le recorder, disant que cet enfant était venu chercher refuge chez lui. L’enfant demeurait dans la rue Jacques-Cartier, entre les rues Notre-Dame et Craig, et le petit souffreteux disait qu’on ne voulait pas lui ouvrir la porte chez ses parents.

La nuit était froide, comme elles le sont toutes à cette saison de l’année, le barbier fut pris de compassion, on le serait à moins, et il donna asile au petit miséreux pour la nuit, croyant inutile d’aller frapper à la porte de ses parents barbares et inhumains.

Avant de l’envoyer à l’école d’Industrie, le recorder a fait «déposer» l’enfant à l’école de Réforme, afin de faire toutes les recherches préliminaires.

L’on découvrit finalement que cet enfant n’avait qu’une pauvre mère qui était veuve.

* * *

Voilà un des tristes exemples de la misère qui règne dans certains dessous de notre ville.

Depuis plusieurs années, le gouvernement de Québec a fait une loi disant que le maire d’une municipalité «peut» placer L’enfant qui est sans tutelle dans une école d’industrie certifiée.

Par «enfants sans tutelle», la loi entend ici un enfant qui serait orphelin ou dont les parents seraient trop pauvres, morts ou en prison, etc.

Beaucoup de personnes — l’on ne saurait s’imaginer toute la méchanceté et l’inhumanité qui existent en certains quartiers de notre ville — ont profité de cette loi pour faire élever leurs enfants aux frais de la ville en les faisant envoyer dans ces écoles d’industrie tout comme si c’était au collège.

Malgré toutes les précautions que prennent nos autorités pour parer à ces graves inconvénients, le nombre de demandes augmente encore dans une proportion considérable tous les jours.

Autrefois, il suffisait d’une déposition assermentée. Aujourd’hui, la loi est plus sévère, on exige un certificat du curé, un certificat d’un officier de police dans le district où demeure la personne qui demande à ce que son enfant soit envoyé à l’École d’Industrie; à part cela, il faut encore un certificat d’échevin.  Malgré toutes ces précautions que l’on prend, il se trouve des gens qui se procurent des certificats avec une très grande facilité.

On le constate par le nombre de demandes qui augmente tous les jours et pour lesquelles la ville est obligée de payer des sommes considérables.  Ainsi, rien que pour les garçons catholiques, la ville a payé l’année dernière plus de $10,000. À part cela, il y a les garçons protestants et les filles catholiques et protestantes.

La loi devrait obvier à un tel état de choses, direz-vous. La loi dit que le maire «peut» faire envoyer ces enfants à l’École d’Industrie pourvu qu’il y ait enquête au préalable devant un magistrat.

D’après toutes les apparences, cette loi, telle qu’elle est, a dû être faite afin de recueillir les enfants qui se trouvent sur le pavé, qui n’ont pas de parents, ou lorsque ces derniers sont trop pauvres ou sont en prison, etc., et ne semble avoir qu’un effet facultatif.

On ne peut envoyer ces petits miséreux à la réforme, puisqu’il n’y a pas d’offense de commise et qu’il n’y a pas eu de procès.

Aujourd’hui, on exploite cette loi de toutes façons, soit en voulant simuler la pauvreté à l’hôtel de ville ou en jetant brutalement ces enfants dehors, pour les faire recevoir sous les soins de la ville et les faire élever à ses frais.

* * *

Maintenant, y a-t-il un remède à cet état de choses ?

Nous n’en voyons qu’un : ce serait de refuser positivement toute demande. De cette façon, les autorités pourront aller d’elles-mêmes s’enquérir de la véracité du fait, voir s’il y a vraiment lieu d’envoyer les enfants à l’École d’Industrie.

Dans tous les cas, il y a huit ou dix ans, avant que cette loi ne fut établie, la ville de Montréal existait et la ville n’élevait pas les enfants de tout le monde, surtout de ceux qui n’ont pas le cœur de consacrer l’argent qu’ils dévouent à leurs vices pour donner un peu de pain et de quoi se vêtir à leurs enfants malheureux.

 

À quand la grande histoire des enfants québécois, où il nous faudra tout mettre sur la table, y compris ces moments bien peu réjouissants, j’allais écrire gênants ?

Ci-haut, l’école de réforme de Saint-Vincent-de-Paul, rue Mignonne, en 1875. Source de cette image, le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «École de réforme».

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS