Sur la côte de Beaupré
Qui habite la région de Québec dispose de bien belles routes panoramiques pour une ballade quand bon lui semble. Autant au nord qu’au sud du fleuve Saint-Laurent. Nous voici sur une de ces routes, celle de la côte de Beaupré avec un quidam qui signe A. B. dans le journal La Patrie du 26 novembre 1892. Ce dernier nous invite à une réflexion sur la toponymie de deux municipalités qu’on y traverse, Château-Richer et Beauport.
La paroisse du Château-Richer est située dans le comté de Montmorency dont elle est le chef-lieu. Elle se trouve en aval de Québec, à cinq lieues de cette ville, sur la côte du Nord; elle est enclavée dans l’ancienne Côte de Beaupré, s’étendant depuis la chute de Montmorency, qui sépare Beauport et l’Ange-Gardien, et va jusqu’à Saint-Joachim inclusivement. Cette Côte, aussi ancienne que la ville de Champlain, est célèbre par le sanctuaire de la bonne sainte Anne, visité tous les ans par des milliers de pèlerins venus de toutes les parties du continent. La Côte de Beaupré est de plus renommée pour ses fruits : pommes, prunes, cerises de France, etc., pour ses carrières de pierre calcaire et pour ses constructions à toit pointu, aux murailles de quatre pieds d’épaisseur, aux cheminées larges et antiques, accusant deux siècles et plus d’existence.
Le registre du Château-Richer remontent à deux siècles et un tiers près : à 1661.
Les concessions des terres, qui furent les premières du pays avec celles de Beauport et de Charlesbourg, avaient une profondeur d’une lieue et demie sur un front de deux ou trois arpents [Un arpent mesure 192 pieds ou 58 mètres].
Mais d’où vient à cette paroisse le nom de Château-Richer ?
L’opinion la plus accréditée est celle-ci. Les colons trouvèrent, à quelques pieds du site actuel de l’église, sur la côte, une butte spacieuse habitée par un sauvage du nom de Richer. Cette butte ou ouigouam, soit par dérision ou pour tout autre motif, reçut le nom de château; puis de château de Richer, ou château à Richer, est venu Château-Richer. Cette étymologie, qui a un air de vraisemblance, vaut certainement mieux que celle que j’ai entendue, en 1851, au sujet de Beauport.
Votre serviteur était alors maître d’école au Château-Richer, et il revenait, un jour, de la ville dans la voiture d’un brave habitant du haut du château, un peu rouillé sur l’Histoire et l’Étymologie. J’étais fraîchement sorti du collège et, aimant les études de mœurs prises sur le vif, je faisais causer mon compagnon. Tout à coup, se tournant vers moi et me regardant en plein dans le blanc des yeux, il me demande : — Savez-vous d’ous que ça vient le nom de Beauport ? — Non, lui répondis-je, et vous me feriez bien plaisir en me le disant. — J’sais, reprit-il, que vous êtes ben induqué, mais encore, il pourrait ben s’faire qu’on vous ait pas dit ça au collège ous qu’on montre ienque du latin, à c’qu’on m’a dit.
Après ce préambule, le brave campagnard développa sa thèse au sujet de l’étymologie du mot Beauport. « Il est bon de vous dire, commença-t-il, qu’il y a longtemps de ça; c’était du temps des Français et du temps du grand Bonaparte qui a si bien vergé les Anglais dans le derrière de Baston; y paraît que c’Bonaparate leu-z en a donné eune volée à ces Bastonnais. »
Puis se reprenant, après avoir fait passer son énorme chique de droite à gauche : «C’était dans c’temps-là, continua-t-il. Un jour, un habitant s’en revenait de Québec où il avait été vendre un voyage de foin. Avant d’arriver à la rivière Montmorency, qu’on traversait alors en voiture, à marée basse, notre habitant aperçoit, couché le long de la clôture, en plein sur le dos, un homme, qui paraissait être un étranger. L’habitant eut une souleure des cinq cents diable [sic] : il avait cru d’abord que c’était un homme mort. Pour s’en assurer, il débarque de sa charrette, fait un grand signe de croix, pis y c’met à tâter son homme, à l’manigancer sur tous les bords. Après l’avoir reluqué comme y faut, il s’aperçut que l’homme était soûl, ivre mort comme une grive. L’habitant rembarqua dans sa charrette et, rencontrant un peu plus loin un autre habitant, y lui dit : «Y’a un beau porc» et, depuis c’temps-là, le nom est resté à la paroisse, C’est comme ça, monsieur, s’adressant à moi, et j’sus presque sûr qu’on vous a pas montré ça au collège; pas vrai ? Je lui répondis qu’en effet, on avait négligé cette partie importante de notre histoire.
L’huile sur toile ci-haut, Soleil couchant sur la Basilique, est une œuvre de l’artiste peintre Cathy Lachance, de l’île d’Orléans. La basilique de Sainte-Anne- de-Beaupré, lieu de pèlerinage, se trouve précisément dans cette municipalité de la côte de Beaupré.
On trouvera davantage de renseignements sur madame Lachance dans ce site regroupant des artistes et artisans d’art de l’île d’Orléans. On peut la voir aussi à l’œuvre dans cette courte vidéo tournée par un Anglophone de passage à Terre-Neuve, l’été dernier.
Merci beaucoup, chère Cathy.
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